Paru en mars 1973, The Dark Side of the Moon fête son 50e anniversaire dans une mirifique édition Deluxe remasterisée incluant des versions stéréo, 5.1, un mix Atmos, un nouveau livre et un concert enregistré en 1974. Dans les coulisses d’un classique du rock cosmique, vers l’infini et au-delà.
« Avez-vous entendu parler de Pink Floyd ?
Neil Young
– Non. »
Interrogé en mars 1971 lors de l’enregistrement londonien des cordes du futur Harvest, Neil Young admet ne jamais avoir entendu parler du groupe britannique. À cette époque, Le Loner est loin d’être le seul à ignorer l’existence du quatuor formé six ans plus tôt à Cambridge par le chanteur-bassiste Roger Waters, le claviériste Rick Wright, le guitariste-chanteur Syd Barrett et le batteur Nick Mason.
En dehors des nostalgiques des happenings psychédéliques de la Roundhouse et des lecteurs de la presse pop spécialisée, le grand public ne s’est pas embarqué dans les expéditions cosmiques et baroques de The Piper at the Gates of Dawn (1967), A Saucerful of Secrets (1968, dans lequel David Gilmour remplace Syd Barrett), Atom Earth Mother (1970) ou encore Meddle, paru en 1971. Et si les cinéphiles ont entendu Pink Floyd dans les bandes-son de More, réalisé par Barbet Schroeder en 1969, et le Zabriskie Point d’Antonioni l’année suivante, les expérimentations progressives du groupe n’ont pas encore embrasé les charts.
Pink Floyd : tensions internes
Au moment où Neil Young visite Londres, Pink Floyd est figé dans une impasse créative. Épuisés par d’incessantes tournées et lassés de jouer la même setlist sur scène depuis plusieurs mois, Waters, Gilmour, Mason et Wright décident d’incorporer leurs nouvelles créations à leur répertoire, avant de les graver en studio pour leur futur album. En novembre 1971, le quatuor s’enferme dans un local prêté par les Rolling Stones pour élaborer ces nouveaux titres.
Quelques jours plus tôt, les membres de Pink Floyd avaient dressé une liste des contraintes de leur quotidien de musiciens professionnels, parmi lesquelles la peur de l’avion, l’attrait de l’argent et la pression commerciale imposée par leur maison de disques. Élément catalyseur du projet, Roger Waters dessine l’ébauche de chansons reliées par les thèmes de l’avidité, de l’usure du temps, de la mort et de l’aliénation mentale, en écho au tragique déclin de Syd Barrett. Le bassiste dispose également de quelques maquettes inachevées, dont celle de « Money », née d’une improvisation blues datant de la fin des années 1960. De son côté, Rick Wright apporte « Us and Them », un thème non-utilisé destiné à la bande originale de Zabriskie Point.
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Expériences soniques
Le 17 janvier 1972, les spectateurs du Rainbow Theatre de Londres découvrent en avant-première les prototypes scéniques de The Dark Side of the Moon, provisoirement sous-titré A Piece For Assorted Lunatics. Interprétée en première partie du show, cette sélection est accompagnée d’un spectaculaire son et lumières nécessitant neuf tonnes de matériel et une table de mixage 28-pistes, dont quatre réservées au procédé quadriphonique. Lors de ces premiers concerts et de la tournée britannique qui suit, ces nouvelles chansons sont favorablement accueillies par le public et la critique.
À la veille du printemps 1972, Pink Floyd est prêt à passer à l’étape studio. Interrompu par une série d’engagements au Japon, aux États-Unis et en Europe, la préparation de la bande originale de La Vallée (qui donnera lieu à l’album Obscured By Clouds), du film-concert Live at Pompeii et des performances avec les ballets de Roland Petit, l’enregistrement de The Dark Side of the Moon s’étale sur toute l’année 1972. Les premières séances ont lieu en mai aux mythiques studios Abbey Road.
L’ingénieur du son Alan Parsons, qui avait déjà participé à Atom Earth Mother – et futur leader de l’Alan Parsons Project – est recruté pour aider le groupe à concrétiser ses expériences soniques. Sur une suggestion de Parsons, Pink Floyd fait également appel aux choristes Doris Troy, Lesley Duncan, Barry St. John et Liza Strike, tandis que Dick Parry, un ancien compagnon de route de David Gilmour, officie au saxophone. Alan Parsons met aussi à disposition du groupe une une banque d’effets sonores qui jouera un rôle déterminant dans l’album.
Tour de force
Fidèle à sa réputation expérimentale, Pink Floyd s’adonne en studio à une série de tentatives audacieuses, tout en explorant les dernières possibilités de la technologie musicale. « Speak To Me », le titre d’ouverture de The Dark Side of the Moon, reproduit artificiellement les battements d’un cœur humain à partir d’un traitement sonore appliqué à la grosse caisse de Nick Mason. Anticipant les codes de la musique électronique, les boucles frénétiques d’« On The Run » sont créées directement sur la bande à partir d’un synthétiseur EMS SynthiA.
De la même manière, la synchronisation des horloges carillonnantes de « Time », extraites de la sonothèque d’Alan Parsons, nécessite un complexe et fastidieux calage manuel. Parallèlement à ces expérimentations, le système D est également de la partie : pour l’introduction de « Money », Nick Mason fabrique un collier de pièces percées pour obtenir l’effet de tintement recherché, tandis que Roger Waters enregistre les variations produites en jetant de la monnaie dans une poterie.
Single emblématique, « Money » s’aventure en territoires inédits en progressant sur une cadence en 7/4. Cette complexité rythmique contraste néanmoins avec l’accessibilité d’un album dans lequel, contrairement à ses prédécesseurs plus enclins aux longues parties instrumentales, le format chanson épouse parfaitement les séquences les plus planantes. Richement mélodiques et portées par les voix siamoises de David Gilmour et Rick Wright, « Breathe (In the Air) » et « Us and Them » contrebalancent idéalement les plages atmosphériques de « Time » et « Any Colour You Like ». Signé Rick Wright, « The Great Gig in the Sky » est un véritable tour de force transfiguré par la sidérante performance vocale de la choriste Clare Torry.
« Pense à la mort, à l’horreur, et chante », lui indiquent les membres de Pink Floyd avant la prise, en précisant que la chanson ne comporte pas de paroles. Clare Torry improvise alors une série d’harmonies telluriques et déchirantes. En cabine, l’assemblée, bouche bée, réalise qu’elle vient de capturer un des temps forts de l’album. D’autres voix moins spectaculaires (mais tout aussi marquantes) résonnent dans The Dark Side of the Moon. Ses dix titres sont traversés par des bribes de conversations capturées auprès du personnel et des visiteurs d’Abbey Road lors de l’enregistrement.
Pour y parvenir, Roger Waters rédige une série de questions portant sur la violence, la mort et la folie. Durant plusieurs jours, techniciens, roadies et musiciens se relaient au micro : si les interventions de Paul et Linda McCartney, venus enregistrer Red Rose Speedway avec Wings, ne seront pas retenues, celle de l’assistant Chris Adamson (« I’ve been mad for fucking years»), du road manager Peter Watts (le rire de « Brain Damage » et « Speak To Me ») et du concierge du studio Gerry O’Driscoll (« There is no dark side of the moon, really. As a matter of fact, it’s all dark ») seront gravées pour la postérité.
The Dark Side of the Moon : succès foudroyant
Le 9 février 1973, l’album est achevé au terme d’une ultime séance de mixage quadriphonique coordonnée par le producteur Chris Thomas. Pour illustrer sa pochette, Rick Wright demande au collectif Hipgnosis, déjà responsable des artworks d’Atom Earth Mother et d’Obscured By Clouds, de réaliser un visuel « simple, mais audacieux ». Inspiré par les jeux de lumières psychédéliques des concerts de Pink Floyd, les textes et les thématiques de l’album, le designer Storm Thorgerson découvre dans un livre la photographie d’un prisme traversé par un rayon multicolore. Finalisée par le dessinateur George Hardie, la pochette de The Dark Side of the Moon atterrit dans les bacs des disquaires américains le 1er mars 1973, puis quinze jours plus tard en Grande-Bretagne.
Dès sa sortie, l’album remporte un succès foudroyant. Salué par la critique, le huitième album studio de Pink Floyd, propulsé par une imposante campagne marketing aux États-Unis, gagne les faveurs du grand public avant de devenir un des albums les plus vendus de tous les temps en s’écoulant à plus de 45 millions d’exemplaires à travers le monde.
À l’époque, on estime qu’un foyer britannique sur quatre possède une copie de l’album, tandis qu’aux quatre coins du globe, les marchands de hi-fi utilisent le 33-tours pour tester la qualité audiophile de leur matériel. Après avoir été interprété sur scène un an avant sa sortie, The Dark Side of the Moon sera également rejoué à plusieurs reprises par les différentes incarnations du groupe, ainsi qu’en solo par ses membres. Et depuis, Neil Young a enfin entendu parler de Pink Floyd.
The Dark Side of the Moon, l’édition Deluxe 50ème anniversaire
Disponible à partir du 23 mars, l’édition Deluxe célébrant les 50 ans du classique propose un packaging incluant un CD et un vinyle gatefold de l’album studio remastérisé en 2023, ainsi qu’un Blu-Ray et un DVD audio incluant le mixage original 5.1 et les versions stéréo remastérisées. Le coffret comprend aussi un nouveau Blu-ray incluant le mixage Atmos de l’album original, ainsi que le CD et le LP de The Dark Side of the Moon – Live At Wembley Empire Pool, London, 1974.
Également disponible en versions CD et vinyle individuelles, cet album live a été enregistré en novembre 1974. Paru en 2011 en disque bonus de l’édition 40e anniversaire de The Dark Side of the Moon, ce document en public est proposé pour la première fois dans sa version simple, illustrée par une pochette originale dessinée au trait par George Hardie en 1973.
Le livre Pink Floyd – The Dark Side of the Moon : 50th Anniversary est également inclus dans ce coffret Deluxe. Conçu par la photographe Jill Furmanovsky et supervisé par Aubrey Powell, cofondateur d’Hipgnosis, ce volume de la taille d’un 33-tours contient des photographies rares et inédites prises sur scène entre 1972 et 1975 et a été conçu avec la participation des membres du groupe. Un songbook de 76 pages comprenant les partitions de l’album, un fac-similé de l’invitation à l’écoute de l’album au Planétarium de Londres en février 1973 et deux 45-tours replica des singles « Money » et « Us and Them » complètent cette édition définitive du classique Floydien.
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