Oui, le volume sonore des publicités est plus fort, vous ne rêvez pas !

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Tout le monde l’a vécu. Vous regardez un film, un reportage ou un match de football, le son est réglé comme il faut, puis soudain, la coupure pub surgit et vous bondissez sur la télécommande. Ce n’est pas votre imagination : le volume des publicités paraît bel et bien plus fort que celui des programmes. Les téléspectateurs s’en plaignent depuis des décennies, et ce ressenti a été suffisamment documenté pour que les autorités audiovisuelles s’y intéressent sérieusement. Ce phénomène n’est pas dû à un simple hasard ou à une erreur de diffusion : il repose sur une technique précise et sur des stratégies de production bien rodées.

Le volume des publicités est trop fort.

Le premier réflexe est de penser que les chaînes montent le son pendant les publicités. Ce n’est pas tout à fait vrai. Le volume maximal d’un programme télévisé reste limité par la même norme technique pour tous les contenus. En revanche, les publicités utilisent un traitement sonore spécifique appelé compression dynamique.

Pour simplifier, cette technique consiste à réduire la différence entre les sons faibles et les sons forts. Les passages calmes sont amplifiés pour se rapprocher du niveau sonore le plus élevé autorisé. Résultat : même si la publicité ne dépasse pas le volume maximal du programme précédent, elle paraît beaucoup plus dense et donc plus bruyante.

La compression dynamique donne le sentiment que le volume des publicités est plus fort.
À gauche, le son n’est pas compressé. Sur l’image de droite, la compression rend les sons faibles plus forts, jusqu’à ce qu’ils atteignent presque le même volume que les sons déjà forts.

Concrètement, l’oreille humaine est sensible non seulement à l’intensité d’un son, mais aussi à sa durée. Un son qui reste fort plus longtemps paraît plus puissant. Or, dans une courte publicité, chaque seconde compte. Les ingénieurs du son suppriment donc la moindre « respiration » entre deux phrases, remplissent tout l’espace sonore avec de la musique, des effets et une voix omniprésente. Ce son compact, sans variation, fatigue l’auditeur et crée cette impression d’excès. C’est le même principe que dans la « loudness war », la fameuse « guerre du volume » qui a marqué l’industrie du disque dans les années 1990. Les producteurs de musique compressaient les morceaux pour qu’ils paraissent plus forts que ceux du concurrent sur la radio ou dans un lecteur CD. À la télévision, le mécanisme est identique : le but est d’attirer l’attention du spectateur par tous les moyens possibles.

Les ingénieurs du son des régies publicitaires savent d’ailleurs que ce choix n’est pas neutre. Plus le spectateur perçoit le message comme fort et présent, plus il est susceptible d’en retenir une trace. Le cerveau assimile ce volume constant à un signal prioritaire. Ce conditionnement sensoriel a prouvé son efficacité dans la publicité, mais il a aussi un effet pervers : il finit par agacer. Beaucoup de téléspectateurs baissent ou coupent le son, voire changent de chaîne, ce qui réduit la portée du message. Pourtant, les annonceurs continuent de miser sur la puissance sonore, faute de solution collective. Si une seule marque décidait de diffuser ses spots à un volume perçu plus faible, elle se retrouverait immédiatement moins visible que ses concurrents.

Une interdiction totale de la pratique en Californie

De l’autre côté de l’Atlantique, la Californie a décidé d’aller plus loin. En octobre 2025, l’État a adopté une loi interdisant explicitement toute publicité dont le volume serait supérieur à celui du programme interrompu. Cette mesure, saluée par une grande partie du public, s’applique aussi bien aux chaînes traditionnelles qu’aux plateformes de streaming. Le gouverneur Gavin Newsom a résumé la philosophie de la loi : « Nous avons entendu les Californiens haut et fort, et ce qui est clair, c’est qu’ils ne veulent pas de publicités à un volume supérieur à celui auquel ils profitaient auparavant d’un programme. » 

Cette réglementation s’inspire d’une règle fédérale déjà existante, la CALM Act, votée aux États-Unis en 2010, mais rarement appliquée avec rigueur. La Californie prend donc les devants en imposant un contrôle local plus strict, avec la possibilité de sanctions financières pour les contrevenants. Reste à voir si d’autres États suivront cet exemple ou si l’industrie du streaming tentera de contourner ces nouvelles limites.

Les mesures mises en place en France par l’Arcom

En France, le régulateur de l’audiovisuel, l’Arcom (ex-CSA), s’est penché depuis longtemps sur le problème. L’institution a constaté que la généralisation de la télévision numérique terrestre avait amplifié le phénomène. La TNT, par sa nature numérique, facilite l’usage de la compression dynamique et donc la manipulation fine des niveaux sonores. Pour y remédier, l’Arcom a instauré une régulation concertée avec les chaînes, les régies publicitaires et les annonceurs. L’objectif est de garantir une cohérence de niveau entre les programmes et les messages publicitaires, sans interdire totalement la variation d’intensité, inévitable dans une coupure.

Cette régulation impose notamment que les moments les plus forts d’une publicité ne dépassent pas, en moyenne, les moments les plus intenses du programme qu’elle interrompt. En théorie, cela permet d’obtenir une succession harmonieuse entre contenu et publicité. En pratique, les écarts se ressentent toujours, car la perception auditive reste subjective et dépend de nombreux paramètres : type de téléviseur, compression appliquée par la chaîne, ou encore distance d’écoute. Mais la démarche a au moins permis de réduire les abus les plus flagrants et d’ouvrir un dialogue entre les acteurs du secteur. L’Arcom encourage par ailleurs les téléspectateurs à signaler les publicités perçues comme trop fortes, ce qui contribue à affiner le suivi.

Arcom : le régulateur de la communication audiovisuelle et numérique.
L’Arcom surveille le volume sonore des publicités et tente de trouver des accords avec les marques et les publicitaires.

Le sentiment que les publicités sont plus bruyantes n’est donc pas une impression, mais la conséquence directe de choix techniques des ingénieurs du son. Les producteurs exploitent les marges offertes par la compression dynamique pour capter l’attention à tout prix, quitte à rendre l’expérience sonore désagréable. En France, l’Arcom tente d’encadrer ces pratiques par la concertation, tandis que la Californie choisit la voie de l’interdiction. Mais tant que le modèle publicitaire reposera sur la concurrence du volume, l’équilibre restera fragile. La prochaine étape pourrait concerner les différentes plateformes de streaming qui subissent le même problème. En attendant, les téléspectateurs continueront de garder la télécommande à portée de main.

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