Lady Gaga – Le Rewind

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Elle est apparue au grand public en 2008 avec une prophétie auto réalisatrice, titrant son premier album, The Fame, la gloire. Et elle l’a obtenue. Flashback sur 5 albums essentiels de la nouvelle diva pop art du 21ème siècle, Stefani Joanne Angelina Germanotta alias Lady Gaga.


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The Fame, 2008

Rewind One donc, The Fame voit le jour en août 2008. Produit par une armada de beatmakers (RedOne, Rob Fusari, Martin Kierszenbaum, Space Cowboy, Brian & Josh), cette introduction long format est portée par ses deux premiers singles, « Just Dance » et « Poker Face ». Pour le premier, Gaga a invité le chanteur Colby O’Donis et à l’écriture, elle est accompagnée du producteur RedOne et du chanteur d’origine sénégalaise Akon. Le contenu textuel est basique, une exaltation de la fête en club, de la perte de contrôle accompagnée des substances qui vont avec. Gaga a plus tard reconnu avoir écrit ce hit introductif en dix minutes, logique pour un track dont le refrain se limite à « Just dance, gonna be OK ». Début 2008, le morceau cartonne dans plusieurs pays dont l’Australie, le Canada et la Suède, mais aux États-Unis, le démarrage prend un certain temps, et Gaga doit se contenter, pour ses premières scènes US, d’une première partie des New Kids On The Block, qui ne sont plus new ni kids depuis longtemps.

Lady Gaga, The Frame

D’ailleurs, Gaga n’apprécie pas l’ambiance californienne : « Je n’aime pas Los Angeles, les gens y sont terriblement superficiels, ils veulent tous devenir célèbres mais n’acceptent pas de jouer le jeu. Moi je suis de New York, et je tuerais pour y arriver ». Une déclaration fracassante qu’elle donna au magazine Les Inrocks, dont elle fit la couv’ en mars 2010, alors que son statut de superstar pop était devenu officiel. Elle y livrait sa conception de la relation artiste-public : « En art, en musique, il y a une grande part de vérité et à un moment se glisse un mensonge. Fondamentalement, un artiste crée pour faire de ce mensonge une vérité qu’il cache parmi toutes les autres. Ce minuscule petit mensonge, c’est l’instant que je recherche, l’instant où le public tombe amoureux ».

Le méga hit « Paparazzi », accompagné d’un clip ébouriffant, confirmait l’irrésistible ascension de cette femme haute de 160 centimètres mais dotée d’une personnalité XXL. L’année de sortie de ce premier album, le magazine français gay friendly Tribu Move la met en couverture, nouveau signe de l’acceptation de Lady Gaga comme icône gay, comme un écho de Madonna dans les années 1990. Car avec ce coup d’essai devenu coup de maitre, Gaga synthétise cette image d’une artiste qui casse les codes et revendique sa différence. Tribu Move écrivait ceci sur elle en 2011 : « Gaga a su fédérer toutes les brebis galeuses, les moutons noirs et les parias de notre société, mis à l’écart du système. Elle a appelé tous les gens qui se sentent différents dans ce monde, rejetés par la société, toutes les minorités raciales, sexuelles, les handicapés et toutes les personnes brisées par la vie à relever la tête, à avoir confiance en eux et à marcher unis ». Car Gaga n’a pas de fans, non : Elle a des « little monsters », une monstruosité qui n’est autre que celle de la différence assumée.

The Fame Monster, 2009

Une deuxième salve de cet album introductif, The Fame Monster, vient confirmer l’irrésistible ascension de Stefani avec les bangers « Bad Romance », « Alejandro » et « Telephone » featuring Beyoncé, deux géantes de la pop pour un hit imparable. Des titres forts accompagnés de vidéos stylées, compléments indispensables pour parfaire la panoplie de pop star globale que la Lady compte porter désormais. Si le clip de « Telephone » était un bonbon acidulé façon années 1980 revues par un Tarantino qui aurait flashé sur Desigual, celui d’« Alejandro » est d’une autre facture.

Lady Gaga, The Frame Monster

Son réalisateur Steven Klein revendique une certaine approche arty et gothique : « Nous avons combiné la danse, le récit et les attributs du surréalisme », déclarait-il après sa sortie. Si Les Inrocks jugent que le morceau « ressemble à une mauvaise chanson d’Ace Of Base », le public adhère et le clip aux couleurs métalliques amplifie son impact : 603 millions de vues en 15 ans pour ces huit minutes 43 de chorégraphies militaires rappelant Janet Jackson et sa « Rhythm Nation » avec en danseurs des soldats armés de kalachnikovs qui customisent leurs uniformes avec des bas résille et des casquettes à clous. Cœur saignant servi sur un plateau, Gaga en créature tout droit sortie d’un Dune SM, puis en infirmière perverse et bien sûr, comme un clin d’œil à Madonna, une religieuse en latex rouge avec rosaire dans des poses lascives sur un lit en train de mimer l’acte sexuel en compagnie d’un beau gosse qui doit préférer Sir Gaga à sa Lady… Bonus Madone : Un soutien-gorge dont les terminaisons sont deux énormes fusils mitrailleurs, comme une version guerrière de celui conçu par Jean Paul Gaultier pour le Blonde Ambition Tour. On est clairement en territoire Madonna, ce qui n’est pas une surprise pour ceux qui connaissent Steven Klein, un des photographes favoris de miss Ciccone. 

Gaga a trouvé son style, entre outrage et hommage, et ses tenues vestimentaires vont devenir iconiques. Nul n’a oublié son arrivée aux MTV Awards le 12 septembre 2010 vêtue d’une « robe steak » créée (on n’ose dire cousue) par Nicola Formichetti, directeur artistique pour Thierry Mugler et Uniqlo. Formichetti a flashé sur Gaga alors qu’elle était encore inconnue mais arborait les attributs d’une superstar. Il a raconté au Parisien comment la robe qui fit un effet bœuf aux MTV Awards a été conçue : « On est allé acheter de la viande chez un boucher argentin de Los Angeles et on a tout épinglé sur un corset qu’on a mis au frigo. Quand Gaga l’a enfilée, on a trouvé ça tellement drôle ! L’impact a été énorme, les défenseurs des animaux étaient furieux mais c’est bien, la provocation ! J’aime la mode d’avant-garde, les robes ennuyeuses ne m’intéressent pas ». Dans une interview au Daily Star, Gaga a expliqué les ressorts de ses obsessions sexuelles et organiques : « Je suis obsédée par la mort et le sexe. Ces deux choses sont au cœur des films d’horreur, qui m’ont obsédé ces derniers temps. J’ai maté plein de films d’horreur et de science-fiction des années 1950. Et The Fame Monster est l’illustration de cette régurgitation des films de monstres que je consomme de façon boulimique. Et dans ces films, vous remarquerez qu’il y a toujours une juxtaposition du sexe avec la mort ».

Artpop, 2013

Fast Forward en 2013 avec Artpop, l’affirmation du mariage de deux pôles majeurs dans la discographie gagatesque. Beaucoup de choses se sont passées depuis l’explosion de la Miss en 2009 : Elle a cartonné avec The Monster Ball Tour, une tournée en solo remplaçant celle prévue en duo avec Kanye West, Fame Kills, annulée après le retrait de Kanye du à son coup de folie aux MTV Awards de 2009, quand il vola la vedette à Taylor Swift en grimpant sur scène pour clamer que c’était Beyoncé qui méritait la récompense. En 2011, elle a mis en couverture de son triple album Born This Way : The Collection une robe de goudron/slime créée par Bart Hess.

Lady Gaga, Artpop

Et si Artpop semble être la suite logique de Born This Way, il est malgré tout moins sombre, décrit par son auteure comme « une célébration et un voyage musical poétique ». RedOne a quitté le navire Gaga (il se contente d’être un des quatre compositeurs de « Gypsy »), remplacé ici par une flopée de producteurs façon inventaire à la Prévert : Rick Rubin, cofondateur de Def Jam (pour « Dope »), côtoie le jeune Nantais Madeon (alias Hugo Pierre Leclercq), le DJ Star David Guetta (pour « Fashion »), DJ White Shadow ou encore le duo israélien Infected Mushroom. 

Le single « Applause » se classe d’emblée dans le Top 10 d’une vingtaine de pays, suivi par « Do What U Want », le duo avec R. Kelly. Terry Richardson, photographe de mode qui flirte avec les extrêmes, signe la couverture du single, un gros plan des fesses de Gaga dans un thong fleuri. Le clip du morceau fut annulé sans explication, et six ans après la sortie du disque, Gaga retirait le titre des plateformes de streaming suite à la diffusion du documentaire accablant Surviving R. Kelly, qui dévoilait le côté obscur du chanteur, condamné par la suite à une lourde peine de prison. En novembre 2019, des versions CD et vinyle expurgées de ce morceau remplacèrent le pressage original, faisant grimper le prix du LP vinyle jusqu’à 300 euros sur Discogs.

Extrait clip Applause
Le titre Applause, issu de l’album Artpop, fait partie des chansons phares du projet sorti en 2013.

Kelly, qui mettait une dernière touche à son album Black Panties, fut suggéré par DJ White Shadow, et accepta la collab suite à une conversation téléphonique avec la chanteuse, déjà fan de Robert : « J’ai vécu et passé pas mal de temps à Chicago, d’où vient R. Kelly. Je travaillais sur Artpop et j’avais écrit “Do What U Want” en tournée. Ça évoquait mon obsession pour la perception que les gens peuvent avoir de moi. J’ai toujours été fan de R. Kelly et comme cette chanson a vraiment une couleur R&B, je me suis dit qu’il fallait que j’appelle le roi du R&B et que j’obtienne sa bénédiction ». « Dope », la chanson produite par Rick Rubin, évoque en creux la dépendance à l’alcool et à la drogue (sans que la substance en question soit précisée) pour conclure avec le refrain « I need you more than dope », le tout sur un piano langoureux. Seule ballade de l’album, cette chanson intimiste est considérée par la chanteuse comme son œuvre la plus personnelle. « Fashion ! », le titre coproduit par David Guetta et Will.I.am des Blackeyed Peas, contient une outro chantée en Français citant Christian Louboutin et faisant rimer « Je me sens au Paradis » avec « C’est la vie ».

Cheek To Cheek (avec Tony Bennett), 2014

Rewind 4, un an s’est écoulé et Gaga entame un virage professionnel visant à augmenter sa crédibilité vocale. Fan des crooners américains, elle s’associe au vétéran Tony Bennett pour Cheek To Cheek, un album qui épouse un classicisme surprenant puisqu’il contient une douzaine de reprises jazz écrites par Cole Porter, Irving Berlin, Jerome Kern ou Duke Ellington. La première rencontre des deux artistes remonte à l’année 2011, lors d’un gala new-yorkais durant lequel Gaga chanta une reprise du standard de Nat King Cole « Orange Colored Sky ». Une rencontre qui donna naissance à la première collaboration de la pop star avec le crooner ultime, « The Lady Is A Tramp » de Rodgers & Hart, inclus sur l’album de Tony Duets II, sorti pour son 85ème anniversaire, qui contenait également le duo avec Amy Winehouse « Body And Soul ».

Cheek to Cheek, Tony Bennet & Lady Gaga

Exercice périlleux que celui qui consiste à se mesurer à un artiste aussi technique et prestigieux que Tony Bennett, mais Stefani réussit son pari et s’attire les louanges de la critique, qui reconnait à la star pop des qualités vocales certaines. Marc Myers, le critique jazz du Wall Street Journal, reconnait que « la plus grosse surprise de cet album est le solo de Gaga sur “Lush Life”, une chanson complexe qui a été un challenge y compris pour les artistes jazz-pop les plus expérimentés, dont Frank Sinatra. Son registre dans les basses est chaleureux et son phrasé d’une grande sincérité ». Le New York Daily News estime que Gaga « a toujours été une interprète puissante, et montre ici qu’elle a du Liza Minnelli en elle ». Avec 131.000 exemplaires vendus en première semaine, Cheek To Cheek offre à Gaga la pole position dans les charts pour la troisième fois, et Tony Bennett bat son propre record en devenant, à 88 ans et 69 jours, le plus vieil artiste à se classer numéro un dans les charts. En 2015, à la 57ème cérémonie des Grammy Awards, Cheek To Cheek est vainqueur dans la catégorie Best Traditional Pop Vocal Album, une distinction que l’on n’aurait pas imaginé pour Stefani au début de sa carrière.

Harlequin, 2024

Ultime Rewind avec Harlequin sorti en 2024, un curieux album qui coïncide avec sa prestation aux côtés de Joaquin Phoenix dans le film Joker : Folie À Deux, suite très attendue et néanmoins catastrophique du blockbuster Joker. Concept album autour de son personnage, la maléfique Harley Quinn, Harlequin est un disque de reprises jazz avec deux chansons originales, « Folie À Deux » et  « Happy Mistake ». Après l’immense succès de la nouvelle version de A Star Is Born, où Gaga tenait le premier rôle aux côtés de Bradley Cooper, la déception des fans face au film fut à la hauteur des attentes qu’il avait inspiré.

Lady Gaga, Harlequin

Pourtant, ce disque qui comporte des versions alternatives de morceaux entendus dans le long-métrage méritait mieux que le tiède accueil qui lui fut réservé. Avec 25.000 ventes en première semaine, ce fut le pire démarrage d’un disque de Lady Gaga depuis ses débuts, l’échec du film ayant été un facteur déterminant : Véritable fiasco financier après le triomphe inattendu du Joker réalisé par Todd Phillips, Joker : Folie À Deux a généré 207 millions de dollars de recettes dans le monde alors que le point d’équilibre était estimé à 450 millions. En 2025, le site Deadline Hollywood estimait que la Warner avait perdu 144 millions de dollars avec cette suite maudite, comédie musicale n’osant pas s’affirmer comme telle (les bandes annonces laissaient penser qu’il s’agissait d’un film de super-héros plutôt classique) et sixième film consécutif du DC Universe à échouer au box-office après Black Adam, Shazam ! Fury Of The Gods, Flash, Blue Beetle et Aquaman 2.

Lady Gaga et Joaquin Phoenix dans le film Joker : Folie à deux.
Lady Gaga interprète Harley Quinn dans le film Joker : Folie à deux, au côté de Joaquin Phoenix.

Lors de la première du film organisée à Londres le 25 septembre 2024, Gaga s’exprima sur son personnage d’Harley Quinn et sur l’album Harlequin en ces termes : « Quand le film a été bouclé, moi je n’en avais pas fini avec mon personnage, et j’ai donc enregistré Harlequin. Harley est une femme complexe qui veut choisir qui elle est à tout moment ».  Parmi les rares fans du film, on trouve Quentin Tarantino, qui y vit des points communs avec son script de Natural Born Killers, le long-métrage halluciné d’Oliver Stone sorti en 1994. Lors d’une interview croisée avec Brett Easton Ellis, le réalisateur de Pulp Fiction expliquait son admiration pour Joker : Folie À Deux : « Étant celui qui a créé les personnages de Mickey et Mallory, j’ai aimé ce qu’ils en ont fait. J’ai apprécié la direction qu’ils ont pris. Le film entier était comme un rêve fiévreux imaginé par Mickey Knox ».

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