Pour finir l’année 2025 en beauté, Les Années Laser réserve sa Une au test de Barbarella. Aventurière mythique interprétée par Jane Fonda, Barbarella sort sur grand écran en octobre 1968. Il s’agit d’une adaptation cinématographique de la bande dessinée de Jean-Claude Forest réalisée par Roger Vadim. Pour la première fois en France, le long-métrage est proposé au format 4K Ultra HD Blu-ray, l’occasion pour le magazine spécialisé de livrer son verdict.
En résumé
Il y a d’abord cette scène d’ouverture que l’histoire du cinéma n’a jamais oubliée : un strip-tease en apesanteur, Jane Fonda flottant dans son cockpit comme une bulle de savon, ses vêtements s’échappant au ralenti tandis que la caméra de Roger Vadim, collée à sa peau, feint de ne rien voir pour mieux tout révéler. On jurerait un geste de pure désinhibition, un pari libertaire lancé au monde depuis l’an 40.000… Sauf qu’il n’en était rien. Invitée bien plus tard sur un plateau de télévision, l’actrice fera exploser le mythe : « J’étais tellement pudique que je me suis saoulée pour pouvoir le faire. » La veille, l’angoisse l’avait nouée, le lendemain, la gueule de bois l’achevait. Elle a donc recommencé, ivre une seconde fois, pour surmonter la peur. Barbarella commence ainsi : par un vertige, une fragilité derrière la provocation, une femme qui se jette dans le vide en espérant que personne ne la voie trembler.
Que ce soit précisément ce moment qui ait fait entrer le film dans la légende n’a rien d’un hasard. Car Barbarella, c’est l’histoire d’un projet qui n’aurait jamais dû exister sous cette forme : une superproduction italo-américaine financée par un studio qui ne voulait plus entendre parler de Roger Vadim, confiée malgré tout à ce même Vadim parce qu’il était le seul, pensait-on, à pouvoir rendre sexy une héroïne venue d’une bande dessinée parue en 1962. Le producteur Dino De Laurentiis passe par Brigitte Bardot, par Sophia Loren, par Ira von Fürstenberg, avant que n’arrive presque par accident Jane Fonda. Encore peu installée à Hollywood, amoureuse du réalisateur qui veut faire d’elle une icône, elle accepte de se glisser dans ce personnage dont l’érotisme joyeux défiait la morale bien avant que le cinéma ne s’en empare.

Sur le plateau, tout semble à la fois bricolé et pharaonique. Les décors sont des kaléidoscopes psychédéliques, les costumes de Paco Rabanne transforment chaque apparition de Barbarella en sculpture mouvante et le scénario, réécrit par une myriade de plumes, ressemble à une succession de visions hallucinées : les poupées mécaniques qui lacèrent l’héroïne, le labyrinthe de Sogo, l’orgue de plaisir conçu pour faire mourir d’extase, la cité livrée à une reine perfide doublée par une voix british. Roger Vadim tourne comme s’il découvrait un autre monde : caméra portée, improvisation d’ambiances, surprises infligées à ses propres acteurs (comme cette machine à orgasmes explosant vraiment à la face de sa vedette). Il veut obtenir des réactions naturelles, quitte à provoquer la panique – ce qui, au fond, sert parfaitement ce film où tout semble se fissurer sous la brillance pop. Le résultat est bancal, souvent kitsch, mais irrésistiblement vivant.
Barbarella n’obéit à aucune cohérence narrative : elle passe d’un tableau à l’autre comme un enfant s’émerveille d’un jouet avant de le jeter pour attraper le suivant. Cette absence de continuité, qui aurait pu la condamner à l’oubli, devient aujourd’hui l’une des clés de son charme. C’est un film qui n’explique rien, ne justifie rien, ne retient rien : il se contente d’exister dans un état permanent de fantaisie. Et puis il y a Jane Fonda, qui transforme un rôle d’ingénue hypersexualisée en personnage délicieusement ironique. Elle joue Barbarella avec une innocence calculée, un humour que Roger Vadim n’a pas toujours anticipé. Ses regards à la caméra, ses sourires silencieux semblent murmurer : « Vous voyez bien que je sais ce que je fais. » Une complicité se crée avec le spectateur, discrète mais constante. Elle sauve le film à chaque instant, en fait un objet quasi anarchiste plutôt qu’un monument de voyeurisme.

À sa sortie, Barbarella surprend le monde entier. Gros battage médiatique, sorties simultanées dans plusieurs pays, mode intergalactique, affiches suggestives, journalistes partout, fascination générale pour cette héroïne décomplexée… Mais la critique hésite et le public se divise. Trop osé pour certains, trop innocent pour d’autres, trop décousu pour presque tout le monde. Et pourtant, le film s’infiltre, se propage, ressurgit. Dans les années 70, puis 80, puis 90, il revient comme un météore que personne ne parvient à oublier. Avec le temps, ses défauts deviennent des atouts : son kitsch devient signature, sa candeur devient manifeste, son désordre devient manifeste d’émancipation. Aujourd’hui encore, Barbarella reste un film unique. Un geste de cinéma à la fois naïf et pervers, ludique et fragile, visionnaire et bâclé, un poème psychédélique où la SF rencontre l’érotisme soft, où l’utopie se mêle à l’humour, où l’héroïne la plus dénudée des sixties devient par inadvertance une figure de puissance féministe. Culte ? Évidemment. Parce que personne n’a jamais filmé l’espace comme une chambre à coucher, ni la peur comme une ivresse, ni la liberté comme un strip-tease flottant.
Du côté des bonus
Il n’y en a hélas aucun…
Avis technique
Si le bruit vidéo reste soutenu, notamment sur le générique iconique évoqué ci-dessus, la définition a bénéficié d’une incontestable cure de jouvence et l’honorable piqué a de solides occasions de briller. Les points blancs de l’ancien Blu-ray se sont évaporés et les couleurs s’épanouissent au mieux de leurs capacités psychédéliques, bien servies par le Dolby Vision. Certes souvent éloigné des canons actuels, mais on n’aura sans doute pas mieux. Niveau son, la VF mono toujours aussi délirante se montre un peu plus éteinte que la VO sans souffle et plus travaillée. La surprise vient de l’autre piste VO 5.1 inédite qui, bien que muette à l’arrière, apporte une dimension bienvenue à certains bruitages électroniques ainsi qu’à la BO pop généreusement déployée, tandis que quelques explosions réveillent gentiment le caisson de basses.
Le mot de la fin
Malgré l’absence de suppléments, ce classique kitsch, délirant et sexy se voit offrir un écrin digne de sa réputation.











