Mis à jour le 3 juillet 2023.
Le punk ? Tout a commencé avec eux, dès 1974. Cette année-là, alors que quelques milliers de kilomètres à l’est de New York Johnny Rotten s’appelait encore John Lydon et écoutait du krautrock, les Ramones naissaient dans le Queens (NYC), et on démarre tout naturellement ce Rewind coordonné avec le mois de décès du bassiste Dee Dee Ramone il y a 21 ans. Prêt ?
ONEDATHREEFOUR !
Ramones (1976)
Et le Rewind n°1, c’est bien sûr Ramones, le premier album éponyme paru en 1976. Le nom du groupe est le premier rapport entre les Ramones et les Beatles : lors des tournées de ces derniers, Paul McCartney prenait le pseudonyme « Paul Ramon » pour s’enregistrer dans les hôtels. Et, c’est ainsi que le groupe trouvera son blaze, chacun de ses membres prenant le nom de famille « Ramone » : le chanteur Joey Ramone (Jeffrey Ross Hyman), le guitariste Johnny Ramone (John William Cummings), le bassiste Dee Dee Ramone (Douglas Colvin) et le batteur Tommy Ramone (Thomas Erdelyi) devinrent le quatuor de rock new-yorkais le plus influent de la scène punk new wave.

Dès le début, Tommy Ramone a défini le son du groupe en expliquant ce qu’il n’était pas : « Les Ramones ne sont pas un groupe d’oldies, ils ne sont pas un groupe glitter, ils ne jouent pas du boogie et ils ne jouent pas le blues ». Une chose est certaine dès la première écoute de ce premier album : les Ramones ne sont pas là pour tourner autour du beat, et toutes leurs compositions sont d’une concision confinant au minimalisme, le plus long étant « I Don’t Wanna Go Down To The Basement » qui titre à deux minutes trente. Il y a une balade spectorienne façon Ronettes (« I Wanna Be Your Boyfriend »), un morceau de clôture avec un brin de nostalgie (« Today Your Love, Tomorrow The World »), mais le corps de l’album est un flot ininterrompu de titres tapissés d’un mur maniaque de guitares, avec la voix étrange de Joey beuglant en intro de face A le mythique « Hey, ho ! Let’s go ! » en intro de « Blitzkrieg Bop ».

La basse rondelette de Dee Dee, qui compose une bonne partie des chansons de ce premier album, associée à la frappe méthodique et posée de Tommy, le tout sous le contrôle de Craig Leon (qui officia sur le premier album de Suicide, on le rappelle) complète le tableau. « Judy Is A Punk », « Now I Wanna Sniff Some Glue », « 53rd & 3rd », autant de classiques du noise made in New York, un mélange d’influences sixties et de brutalité punk. Sur certains pressages, dont le français de l’époque, le mix place la basse à gauche et la guitare à droite, avec la voix de Joey au milieu : Une possibilité d’écouter les 14 chansons de ce fracassant début… Sans Dee Dee ou sans Johnny.
« Les Ramones ne sont pas un groupe d’oldies, ils ne sont pas un groupe glitter, ils ne jouent pas du boogie et ils ne jouent pas le blues »
Tommy Ramone
Fun Fact : La pochette iconique de ce premier album fut une inspiration pour les Allemands de Kraftwerk lors de la conception de Trans-Europ-Express, et le « One, two, three, four » de Ralf Hütter au début du titre « Showroom Dummies » (« Un, deux, trois, quatre » pour « Les Mannequins » en version française) est une référence directe aux Ramones.
Leave Home (1977)
Rewind 2, à peine un an s’est écoulé et déjà le second album déboule. Leave Home est taillé dans le même bois que son prédécesseur, et le groupe a pris de l’amplitude : les Ramones sont passés par Londres, où Marc Bolan de T. Rex, présent dans la salle, est monté sur scène. La rencontre des Clash et des Sex Pistols a établi une connexion entre le punk britannique et la scène new-yorkaise, celle dont font partie les Ramones, qui jouent au CBGB’s et tournent sans relâche.

En France, où le groupe commence à se faire un nom, la critique apprécie ce retour des Ramones, comme en témoigne la critique de Christian Lebrun dans le magazine Best :
Ce second album est encore plus radical que le premier. Quatorze titres fulgurants qui se succèdent dans l’aisance la plus complète. Les Ramones ont mis en application stricte la trouvaille suivante : Comme le meilleur du rock & roll c’est toujours le début, ne faisons (presque) que ça. Érigeons l’intro en œuvre intrinsèque.
Un des hauts-faits de ce disque à la pochette aussi catastrophique que celle du premier était iconique est la reprise de « California Sun », un single de surf rock chanté en 1960 par Joe Jones et repris en 1963 par les Rivieras, qui en firent un hit. En 1975, c’était d’autres rockers new-yorkais proto punk qui s’étaient chargé d’en faire leur version, les Dictators, groupe du chanteur hard rock diva Handsome Dick Manitoba, ancien roadie devenu la voix du groupe.
La version des Ramones est superbe, solaire, totalement pop. « Carbona Not Glue » sera supprimé sur plusieurs pressages, car la corporation Carbona ne tenait pas à être associée avec les Ramones. On retrouve ici quelques thèmes chers à Joey, dont la psychiatrie dans « Gimme Gimme Shock Treatment », 1’43 de décharges électriques. Le budget a un peu augmenté : là où le premier album avait coûté 6.000 dollars, Leave Home a monté la note à 10.000 $, une somme qui reste modeste. Coproduit par Tony Bongiovi, le disque est plus sophistiqué – toutes proportions gardées – que le premier, mais c’est une fois de plus un échec commercial, les radios US refusant de diffuser le son Ramones.

Rocket To Russia (1977)
Rewind 3, voilà qu’arrive Rocket To Russia! Sorti la même année que Leave Home, ce troisième essai contient le plus gros single des Ramones, « Sheena Is A Punk Rocker », parfaite illustration du génie ramonesque à l’œuvre avec une mélodie simple et entêtante agrémentée des lyrics pleins de passion de Joey, le gentil géant aux lunettes fumées et à la tronche en biais, étrange alien qui en concert s’agrippe à son micro comme s’il allait perdre l’équilibre. Dans Rock & Folk, le regretté journaliste et photographe Alain Dister est formel : On a affaire à un classique.
N’y allons pas par quatre chemins : Voici – déjà – l’album de l’année, la galette qu’on pourra repasser cent fois sans trop s’en lasser. (…) Je retourne le disque et qu’est-ce que je vois ? Ils font une reprise de “Surfin’ Bird” ! (…) Cet album est le meilleur, parce que le plus évolué, des albums des Ramones. Courbe ascendante, comme en leur temps les autres Fantastic Four, les Beatles. Ils ne s’en font pas mystère : Les Ramones, coupes de douilles à part, se veulent bel et bien les Beatles des seventies, et si possible des eighties (pas si loin).
Ce qui est établi, c’est qu’au moment d’enregistrer Rocket To Russia, Johnny voulait désespérément avoir un hit radio. Ce qui explique quelques assouplissements de la formule de base, avec plus d’overdubs et des morceaux un peu plus longs. C’est sur ce troisième album que sont enregistrés les titres qui ont été composés dès 1975/76. En effet, comme l’a confirmé Johnny dans une interview donnée à Rolling Stone peu avant sa mort, le groupe avait écrit un nombre conséquent de chansons dès le premier album : « On avait les chansons des trois premiers albums quand on a sorti le premier. On avait écrit 30 à 35 morceaux qu’on a enregistrés dans l’ordre chronologique où nous les avions écrits. Je ne voulais pas que le second album soit une déception parce qu’on aurait mis les meilleurs titres dans le premier ». Les chansons manquantes pour en arriver aux 14 sélections de l’album furent écrites sur la route, entre les dates de concert d’une tournée encore plus neverending que celle de Bob Dylan.

Le budget a encore grossi, cette fois ce sont près de 30.000 dollars qui sont mis sur la table par Seymour Stein, boss du label Sire Records qui croit dur comme fer aux Ramones : « J’aimais tout dans Rocket To Russia, qui contient une de mes chansons favorites, “Sheena Is A Punk Rocker”. C’est en entendant cette chanson en live au CBGB’s que j’ai demandé au groupe de lancer la prod’ si peu de temps après la sortie de Leave Home ». « We’re A Happy Family » évoque une famille dysfonctionnelle, « Teenage Lobotomy » est une ode à la crétinerie avec cette rime pleine d’humour noir : « Guess I have to break the news/ That I got no mind to lose/ Now I guess I’ll have to tell’em/ That I got no cerebellum ». « Rockaway Beach », avec son stop & go du beat, est absolument irrésistible, et la reprise de « Do You Wanna Dance ? » aurait mérité un Top Ten dans les charts. La fin d’un tryptique, et la suite va montrer une nouvelle évolution…
Road To Ruin (1978)
Ce qui nous amène au Rewind 4, Road To Ruin. Et là, c’est la métamorphose. Des solos de guitare ? Un titre qui dure plus de trois minutes (« I Wanted Eeverything ») ? Une reprise du « Needles And Pins » écrit par Jack Nitzsche et Sonny Bono ? Tout ça et plus pour l’album le plus mélodique et le plus ouvert de leur discographie, avec pour la première fois (mais pas la dernière) un changement de batteur, Mark Bell, qui cognait sur les fûts derrière Richard Hell, devient Marky Ramone tandis que Tommy Ramone officie toujours comme coproducteur (avec Ed Stasium) sous son vrai nom, Tom Erdelyi.

Douze titres au lieu des 14 sur les trois premiers albums, mais de la qualité, et même les lyrics les plus courts de leur carrière avec « It’s A Long Way Back », dont le texte intégral est « You by the hohe/ You all alone/ It’s a long way back to Germany »). Les Ramones ne sont pas des nostalgiques, et on sent sur ce disque que le groupe a envie d’évoluer, de toucher un autre public. Ainsi Joey qui déclarait ceci au magazine Spin : « Les gens parlent toujours du bon vieux temps du CBGB’s, mais c’était la merde. Je suis beaucoup plus heureux aujourd’hui ». Et d’évoquer lors de certaines soirées dans le club un plancher maculé de merde de chien. Les odeurs derrière le mythe…
« You Don’t Come Close » est un des joyaux de cet album qui fit moins bien en termes de classement que Rocket To Russia, stagnant à la 103ème place du classement US. Un échec non mérité, et par chance le temps a refermé la blessure tant ce disque plus mature a bien vieilli. Il a même été à l’origine d’un nom de groupe, les Bad Brains (en référence au morceau « Bad Brain ») et d’un nom d’album, celui de Supergrass sorti en 2005, Road To Rouen.
Les gens parlent toujours du bon vieux temps du CBGB’s, mais c’était la merde. Je suis beaucoup plus heureux aujourd’hui
Joey Ramone
End of the Century (1979)
Et on arrive à l’album qui divise les fans, End of the Century, notre cinquième Rewind. Situons l’époque : les Ramones viennent de jouer aux stars de cinéma (bis) avec le teenage movie produit par l’inimitable Roger Corman, Rock’n‘Roll High School. Les scores plus que médiocres de Road To Ruin les rapprochent du syndrome box-office poison, et leur rêve d’être les Beatles punk s’éloigne de plus en plus. Ils tentent donc un pacte faustien avec le producteur le plus déglingo du rock, Phil Spector, l’homme aux mille moumoutes qui a inventé le mur du son et réalisé des balades déchirantes dont les Ramones sont fans. C’est lui qui va signer le son de cette fin de siècle prématurée puisque sortie en 1979, un album hétéroclite qui annonce une nouvelle ère pour les quatre kids aux perfectos usés et aux tennis puantes.

Dire que cet album est un chef-d’œuvre serait certainement exagéré. De même que le considérer comme une catastrophe relèverait de la profonde erreur. Il y a une part de sublime dans ce disque étrange. End Of The Century propose un vieux classique du junk rock « Chinese Rocks », une ode à l’héroïne composée par Dee Dee dans l’appartement new-yorkais de Debbie Harry mais refusée à l’époque par Tommy Ramone qui ne voulait pas que le groupe parle de drogue (oubliant un peu vite « Now I Wanna Sniff Some Glue »).
La chanson fut donc popularisée par les Heartbreakers de Johnny Thunders, le Christ junky du rock, qui le grava sur l’album L.A.M.F. À côté de ce monument trash, l’élégance de « Baby, I Love You », reprise d’un hit spectorien chanté avec une émotion palpable par cette grande saucisse de Joey, qui malgré un mix parfois peu avantageux pour sa voix s’en sort avec les honneurs. Rappelons qu’il est de notoriété publique que les Ramones n’ont pas joué sur cette reprise, entièrement gérée par Spector avec ses propres musiciens.

Un livre mériterait d’être écrit rien que pour raconter les sessions de cet album, qui démarrèrent à Hollywood en mars 1979. Le face-à-face du très lent Phil et des très speeds Ramones ne pouvait que donner des étincelles. Parmi les anecdotes de légende, on se souvient de ce clash entre Dee Dee et Phil Spector, ce dernier braquant son flingue sur le bassiste en lui hurlant aux oreilles « Who’s gonna die now ? », la scène étant heureusement interrompue… Par la crise cardiaque de l’ingénieur du son, qui finit à l’hôpital. Ou encore cette journée durant laquelle, tel un Stanley Kubrick de l’audiophilie, Spector força Johnny à refaire plusieurs centaines de fois sa partie de guitare dans « Rock ‘n’Roll High School ».
L’album, accouché dans la douleur et sans péridurale, est accueilli avec circonspection, mais sera le meilleur classement des Ramones dans les charts, le single « Rock’N’Roll Radio » grimpant même à la seconde place des charts single britanniques, preuve que toute cette souffrance et ces explosions de folie n’étaient pas pour rien.
Il y aura d’autres albums et encore beaucoup de concerts : 2263 en 22 ans, le premier datant du 30 mars 1974. Tel est le bilan live des Ramones, qui ont quitté le building après un concert d’adieu à Los Angeles en 1996, sans passer par la case reformation, définitivement impossible dès 2014 quand meurt le dernier membre original du groupe, Tommy Ramone, 13 ans après Joey, 12 ans après Dee Dee et dix ans après Johnny. « Too Tough To Die » (Trop costauds pour crever), chantaient les Ramones. Hélas, la formule des Stones s’applique à tous : « Time Waits For No One ».
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