Serge Gainsbourg – L’Homme à tête de chou

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Paru en 1976, L’Homme à tête de chou est considéré comme une des pièces majeures de la discographie de Serge Gainsbourg. Passé inaperçu en son temps, le concept-album « moitié légume — moitié mec » devenu culte bénéficie aujourd’hui d’une nouvelle version remasterisée agrémentée de titres instrumentaux et de prises alternatives. Sortie en six formats et mix Dolby Atmos ce 23 juin.

Naissance de l’album

Célébré des deux côtés de l’Atlantique jusqu’en Scandinavie et au Japon, Histoire de Melody Nelson, sorti en 1971, s’impose depuis plusieurs décennies comme le jalon incontournable du catalogue Gainsbourgeois. Sommet de pop-rock symphonique, le conte de fée moderne façonné à quatre mains avec Jean-Claude Vannier élève au rang d’art majeur le principe de concept-album cher à Serge Gainsbourg.

Dans son récit, Serge Gainsbourg s’inspire d’une véritable œuvre d’art : une statue sculptée par Claude Lalanne représentant un « homme à tête chou », qu’il a repérée dans la vitrine d’une galerie d’art proche de sa résidence de la rue de Verneuil.

Après les explorations intimes de Vu de l’extérieur (1973) et le pastiche rock’n’roll, entre Chuck Berry et Mel Brooks, de la seconde guerre mondiale dans Rock Around the Bunker en 1975, Gainsbourg se lance dans l’écriture de son nouveau LP au printemps 1976. Cette fois, son récit a pour source principale une authentique œuvre d’art : une statue sculptée par Claude Lalanne figurant un « homme à tête chou » aperçue dans la vitrine d’une galerie d’art située à deux pas de sa maison de la rue de Verneuil.

Quinze fois je suis revenu sur mes pas, puis, sous hypnose, j’ai poussé la porte, payé cash, et l’ai fait livrer à mon domicile

écrira Gainsbourg dans le communiqué de presse annonçant la sortie de l’album.

D’une ambition orchestrale moindre, L’Homme à tête de chou partage un point commun avec Histoire de Melody Nelson : après avoir incarné le personnage imaginaire de Melody Nelson, des parties vocales jusqu’à la fameuse pochette bleue azur, Jane Birkin fournit à Gainsbourg l’inspiration de Marilou, la sulfureuse shampouineuse rencontre dans le salon de Max, coiffeur pour hommes.

L’Homme à tête de chou partage un lien avec Histoire de Melody Nelson : Jane Birkin inspire à Gainsbourg le personnage de Marilou, une sulfureuse shampouineuse rencontrée dans le salon de Max, un coiffeur pour hommes.

En avril 1976, Serge Gainsbourg rejoint sa muse sur le tournage de L’amour, c’est quoi au juste ?, une comédie de mœurs transalpine tournée dans la petite ville de Stradella, au sud de la Lombardie. Dans des conditions monacales, Gainsbourg imagine un récit irrigué par la jalousie et la folie, l’histoire d’un amour à sens unique entre un journaliste de la presse à scandales et une Lolita insaisissable. Echo disant à Un Amour, le roman paranoïaque de Dino Buzzati, le narrateur finit par assassiner à coups d’extincteur d’incendie l’objet de son désir. Pour Gainsbourg, l’inspiration peut surgir de n’importe où. Par exemple, du couloir du sordide hôtel de Stradella, où trône sur un mur l’arme du crime de Marilou.

Sommets musicaux

Après l’Italie, c’est en Angleterre que se rend Serge Gainsbourg au cœur du caniculaire été 1976. Mi-août, il retrouve l’équipe britannique qui avait œuvré sur Vu de l’extérieur et Rock Around the Bunker. En l’espace d’une semaine (mixage compris), le groupe dirigé par l’arrangeur/claviériste Alan Hawkshaw grave les douze titres de L’Homme à tête de chou.

Serge Gainsbourg se rend en Angleterre en 1976, après son passage en Italie. En une semaine, avec l’équipe britannique qui avait travaillé sur ses précédents albums, ils enregistrent les douze titres de L’Homme à tête de chou, y compris le mixage.

Fascinante synthèse de rock progressif (pour les ambiances aériennes d’« Aéroplanes » et le tour de force harmonique de « Variations sur Marilou »), de country-folk (les guitares en picking de « Ma Mou Marilou » et « Marilou sous la neige »), de reggae (« Marilou Reggae », qui sera recyclée en Jamaïque pour Aux armes et cætera) et de climats africanisants (« Premiers symptômes », « Lunatic Asylum »), cet album incroyablement riche et varié constitue un des sommets musicaux de la discographie de Gainsbourg.

Néanmoins, les performances sidérantes des sessionmen londoniens, notamment celles du guitariste virtuose Alan Parker, déjà présent sur Histoire de Melody Nelson, et du percussionniste Jim Lawless, passeront largement inaperçues lors de la sortie du disque en novembre 1976. Déçu par le faible volume des ventes de L’Homme à tête de chou, Gainsbourg broie du noir, tandis que le label Philips songe libérer l’artiste de son contrat. Quelques mois plus tard, Serge Gainsbourg s’envolera en Jamaïque pour un nouveau projet auquel sa maison de disques ne croît guère, mais ici commence une autre histoire…

Remix généreux

Flash forward en 2023 : après les concerts du Casino de Paris, du Palace et du Zénith, le label Panthéon propose une version Deluxe et restaurée de L’Homme à tête de chou. Réalisée à partir des masters originaux, cette réédition s’articule autour de deux pôles : un nouveau mixage de l’album et, pour la première fois, sa version instrumentale intégrale agrémentée de prises vocales alternatives.

Sur L’Homme à tête de chou, c’est vrai que la voix est trop en avant. C’est le syndrome “chanson française Philips” de ces années-là : que l’album soit mixé à Londres ou pas, le label avait un service “qualité” qui rejetait les mixes, s’il n’y avait pas assez de voix.

analysait l’ingénieur du son Dominique Blanc-Francard dans l’ouvrage Le Gainsbook, paru en 2019.

Dans ce remix 2023, le talk-over de Serge Gainsbourg est toujours au premier plan d’un rééquilibrage saluant généreusement les performances musicales de ses accompagnateurs jusqu’au moindre détail, des « pêches » de l’introduction grandiloquente de « L’Homme à tête de chou », suivie par la double-attaque des guitares saturées reléguées au fond du mix original de 1976, jusqu’aux percussions tribales de « Transit à Marilou », en passant par la phénoménale ligne de basse caoutchouteuse de Brian Odgers sur « Flash Forward », les clavinets de « Marilou Reggae » et les pianos en apesanteur d’« Aéroplanes ».

Versions longues et instrumentaux

Cette redécouverte de « l’autre » album culte de Serge Gainsbourg se prolonge par une exploration plus approfondie de ses séances d’enregistrement, avec un deuxième volume consacré aux playbacks instrumentaux. Là encore, les surprises abondent avec la découverte de versions longues (« Chez Max, coiffeur pour hommes », « Flash Forward », la surprenante déconstruction de « Premiers symptômes ») et de parties absentes du mixage final. Parmi celles-ci figurent, entre autres, une rythmique acoustique et des percussions sur « Marilou Reggae », des interventions de claviers orchestraux sur « Aéroplanes », d’acrobatiques volutes de piano d’Alan Hawkshaw effacées de « Flash Forward », et une rare apparition de Gainsbourg himself, pianotant la mélodie vocale de « Ma Lou Marilou ».

L’édition Deluxe de L’Homme à tête de chou se conclut avec la version instrumentale de l’album, accompagnée d’une série de variations subtiles des paroles de cinq chansons.

Particulièrement attendu, « Variations sur Marilou » s’impose comme l’un des sommets de ce disque bonus dont l’écoute au casque est chaudement recommandée. En écho à la prose magistrale de Gainsbourg, ses sept minutes et cinquante secondes dévoilent une étourdissante structure, introduite par les arpèges Floydiens d’Alan Parker, puis étendue dans une vertigineuse conversation entre la guitare, le piano et les percussions. « Wow ! », s’enthousiasme Alan Hawkshaw au terme de la prise. Pas mieux.

En complément de la version instrumentale de L’Homme à tête de chou, cette édition Deluxe s’achève par une série de subtiles variantes textuelles de cinq chansons de l’album. Pas moins de six formats ont été consacrés à cette ressortie, avec un coffret 2-CDs (album remixé plus instrumentaux et prises alternatives) augmenté d’un blu-ray audio réunissant le mixage original de 1976 aux côtés de mixes Dolby Atmos, Stéréo HD et 5.1. Existe également en versions 2-CDs, CD simple, double-vinyle incluant le mixage 2023 et les prises instrumentales et alternatives, vinyle simple et vinyle simple picture pour les collectionneurs ultimes. Fous que nous sommes toujours de toi, Marilou.


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