Jimi Hendrix : Le Rewind présenté par Olivier Cachin

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Mis à jour le 25 septembre 2023.

Une six-cordes qui brûle, l’hymne américain parfumé au napalm, des albums révolutionnaires et une triste intronisation au sinistre « Club des 27 » : Aujourd’hui, Le Rewind, vous l’aurez compris, fait un zoom sur la trop brève carrière d’un héros du rock à guitare avec cinq albums cruciaux. C’est parti avec Jimi pour un Rewind garanti 100% électrique et zéro pour cent AI !

Jimi Hendrix – Axis: Bold As Love

Et le premier Rewind, c’est le second album studio du guitariste prodige, Axis : Bold As Love. Moins d’un an après Are You Experienced ?, Jimi brouille les pistes et réinvente le game : Après « EXP », une intro qui évoque un programme radio brouillé par des larsens, Jimi donne avec « Up From The Skies » le top départ d’un disque révolutionnaire, surprenant, aux ambitions avant-gardistes. L’ingénieur du son Eddie Kramer est là pour donner une nouvelle dimension au son Hendrix. Pour ce faire, à une époque où les consoles multipistes n’existent pas encore, il va se livrer à des acrobaties sonores qui rappellent celles de Lee « Scratch » Perry dans son studio jamaïcain, Black Ark : Eddie enregistre avec un 4 tracks sur lequel il pose la batterie sur deux pistes, la basse sur la troisième et la guitare rythmique de Jimi sur la quatrième. Puis il mixe l’ensemble sur deux pistes en utilisant un autre magnéto où il inclut sur les pistes restantes la guitare lead, les chœurs et les percussions. Du bricolage de génie qui permet l’expansion du son. 

Jimi Hendrix - Axis: Bold As Love
À une époque sans consoles multipistes, il réalise des prouesses sonores à la manière de Lee « Scratch » Perry, en enregistrant avec un 4 pistes, créant ainsi une expérience sonore novatrice en superposant batterie, basse et guitare pour ensuite mixer le tout sur deux pistes, donnant naissance à une expansion sonore ingénieuse.

L’enregistrement est long, Hendrix est exigeant et multiplie les prises, au grand désespoir de Chas Chandler qui n’en peut plus. La date de sortie originellement prévue est compromise lorsque Jimi, distrait ou défoncé, oublie le master de la face A de l’album dans un taxi londonien. Hendrix, Chandler et Kramer remixent les sept morceaux de la face en une nuit, mais estiment ne pas avoir atteint la qualité du mix original de « If 6 Was 9 », Hendrix pestant contre le manque de temps qui l’aurait empêché de donner son meilleur. « Little Wing », repris à de multiples reprises notamment par Sting, est un des hauts faits de ce disque somptueux, avec pour la première fois une composition signée Noel Redding, « She’s So Fine ».

Arrière-arrière-petit-fils d’une princesse Cherokee, Jimi a été choqué par le visuel de couverture, une peinture de Roger Law d’après une photo de Karl Ferris, d’inspiration indoue, et aurait souhaité une représentation plus proche de ses origines indiennes. « Aucun de nous trois n’a quoi que ce soit à voir avec la pochette d’Axis », a déclaré Jimi peu après sa sortie. Les portraits ont été superposés à des dessins religieux, ce qui occasionna quelques protestations dans le monde et notamment en Malaisie, qui suite aux protestations décida d’en censurer le visuel. 

Jimi Hendrix – Electric Ladyland

Rewind 2, Electric Ladyland, paru en octobre 1968 six mois après un best of précoce, est donc le troisième album studio de Jimi, et le dernier à sortir avant son décès en 1970. Jimi sort d’une tournée monstrueuse et alterne entre gigs et passages en studio. Ce qui ne signifie pas que le disque a été enregistré dans l’urgence : « Gypsy Eyes », comme s’en souvient son batteur Mitch Mitchell, a donné lieu à une cinquantaine de prises étalées sur trois sessions. Chas Chandler va quitter le navire Hendrix peu après, fatigué de l’ambiance chaotique en studio où Jimi a invité ses potes, son entourage et quelques parasites. 

Le bassiste Noel Reding se souvient : « Il y avait des tonnes de gens dans le studio, ça n’était plus une session, plutôt une teuf ». D’ailleurs, Jimi ira jusqu’à effacer les pistes de son bassiste et c’est lui-même qui joue de la basse sur la majorité des chansons de cet album qui fait feu de tout bois, mélangeant les codes psychédéliques avec du blues vintage et du funk sauvage. La reprise du classique de Bob Dylan « All Along The Watchtower » sortira en single et grimpera à la sixième place du hit-parade anglais, son plus gros succès commercial de son vivant. Fan du titre, Jimi l’a entendu début 1968 et a instantanément voulu en faire une version. D’ailleurs, cette interprétation extraordinaire a été validée par Dylan lui-même, qui dès 1974 jouera son titre sur scène à la manière de Jimi. Le single suivant sera « Crosstown Traffic », sur lequel Jimi joue, en plus de sa guitare, un kazoo improvisé fait d’un peigne et d’une feuille de papier. Contrairement à la majorité du reste de l’album, l’Experience au complet apparait sur ce mix de hard rock et de blues. 

Jimi Hendrix - Electric Ladyland
Le point culminant de l’album est incontestablement « 1983… (A Merman I Should Turn To Be) », un voyage de treize minutes où Jimi Hendrix joue de la guitare, de la basse et des effets tout en explorant pleinement les possibilités du studio, avec Mitch Mitchell à la batterie et Chris Wood (de Traffic) à la flûte.

Autre innovation pour Jimi : Cette fois, les invités sont nombreux, et prestigieux. On retrouve Al Kooper au piano (sur « Long Hot Summer Night »), Dave Mason de Traffic à la basse sur « All Along The Watchtower », Steve Winwood à l’orgue et Jack Casady à la basse sur « Voodoo Chile », Buddy Miles aux drums sur « Rainy Day, Dream Away » et « Still Raining, Still Dreaming », le groupe vocal de R&B féminin The Sweet Inspirations (fondé par Dionne Warwick, plus tard remplacée par Cissy Houston, la mère de Whitney) sur « Burning The Midnight Lamp » et Brian Jones aux percussions sur « All Along The Watchtower ». 

Le morceau de bravoure de l’album, c’est bien sûr « 1983… (A Merman I Should Turn To Be ». Treize minutes, soit le deuxième plus long morceau de Jimi après « Voodoo Chile », et un trip unique dans lequel Jimi, qui assure la guitare, la basse, les divers effets et la production, utilise toutes les ressources du studio et est accompagné de Mitch Mitchell aux drums et de Chris Wood (de Traffic) à la flûte. 

Il y avait des tonnes de gens dans le studio, ça n’était plus une session, plutôt une teuf

Noel Reding, bassiste.

L’album est un choc dès sa sortie, le critique du Washington Post parle de « soul progressive » tandis qu’Amy Wallace le considère comme « un classique de l’acid rock ». C’est à l’intérieur de cet album, en double centrale de la version Gatefold, que l’on trouve l’une des plus fameuses photos de Jimi, entouré d’un harem de femmes nues sur fond noir, sublime illustration qui lui vaudra une censure dans plusieurs pays, d’autres choisissant d’entourer le disque de papier brun pour cacher ces seins que l’on ne saurait voir… Fun Fact : La pochette française pour la sortie chez Barclay est l’œuvre du journaliste/photographe Alain Dister.

Jimi Hendrix – Morning Symphony Ideas

Rewind 3, Morning Symphony Ideas, un CD 6 titres peu connu de Jimi sorti en 2000 qui rassemble des titres inédits en studio ainsi que quelques démos. En 2016, il sort en vinyle dans une version raccourcie (3 morceaux sur 6). La chanson « Keep On Grooving » s’est plus tard retrouvée sur le CD accompagnant le livre de 2007 Jimi Hendrix : An Illustrated Experience, mais quand est sorti la première édition de cet EP, c’était sur le label Dagger Records, monté par la sœur de Jimi. Son but était simple : Contrer les bootleggers en sortant des titres inédits en version officielle, mais avec un son meilleur que celui des pirates. 

Jimi Hendrix - Morning Symphony Ideas
Ce disque offre une rare intimité en dévoilant Jimi Hendrix en plein travail, notamment avec la jam de plus de 28 minutes « Keep On Grooving » enregistrée avec Buddy Miles, ainsi que la mémorable jam de 21 minutes « Scorpio Woman (Morning Symphony Ideas) » enregistrée à Hawaï en 1970, offrant une expérience unique pour les fans inconditionnels.

L’originalité de ce disque est que l’on y entend Jimi dans des conditions intimes, en plein travail. Ainsi ce « Keep On Grooving » qui dure plus de 28 minutes durant lesquelles on n’entend que Jimi et Buddy Miles, une jam enregistrée au studio Record Plant de New York le 14 novembre 1968. Autre (long) moment de bravoure, la jam « Scorpio Woman (Morning Symphony Ideas) », 21 minutes 41 enregistrées en juillet 1970 sur l’ile de Maui (Hawaï) en marge d’un concert filmé pour le documentaire Rainbow Bridge sorti en 1971. L’intégralité du live, soit une vingtaine de chansons, a été édité de façon officielle fin 2020, mais on n’y retrouve pas cette jam épique qui ravira les fans hardcore. 

« Strato Strut », véritable ovni, hésite entre rock psyché et funk sauvage, avec une guitare rythmique frénétique et quelques envolées lyriques en solo. Le CD original de 2000, épuisé depuis des lustres, a été réédité en 2020. La version originale de 2000 est encore trouvable sur des sites spécialisés comme Discogs, mais il faudra compter environ 300 euros pour se l’offrir. Quand on aime Jimi, on ne compte pas !

Jimi Hendrix – Both Sides Of The Sky

Rewind 4, un double album vinyle, Both Sides Of The Sky. Sorti en 2018 et présenté comme l’ultime album d’une trilogie d’archives hendrixiennes entamée en 2010 avec Valleys Of Neptune (assemblé par l’ingé son Eddie Kramer, comme le premier album studio inédit posthume) et poursuivie par People, Hell And Angels en 2013. Both Sides rassemble treize chansons, dont dix dans des versions inédites, et invite quelques grands noms comme Stephen Stills et Johnny Winter, ainsi que le saxophoniste Lonnie Youngblood. 

L’album se conclut avec un instrumental de sept minutes, « Cherokee Mist », sur lequel Hendrix joue de la sitar électrique. 

Jimi Hendrix - Both Sides Of The Sky
Sur cet album, ce ne sont pas les chansons elles-mêmes qui sont inédites, mais plutôt les versions, avec des titres familiers tels que « Mannish Boy, » « Hear My Train A Comin’, » et « Stepping Stone, » ainsi que la découverte rare de « Woodstock » de Joni Mitchell et la collaboration avec Stephen Stills sur  » $20 Dollar Bill, » une trouvaille qui avait échappé aux bootleggers les plus dévoués.

La couverture est une sublime photo de Mike Berkofsky qui a une histoire : Elle avait été réalisée dans les sixties pour illustrer la couverture du magazine anglais Rave et le négatif original avait disparu. On l’a longtemps cru perdue, et elle a refait surface vers 2012, pour se retrouver notamment en couverture du magazine français Rock & Folk, dont Philippe Manœuvre était alors rédacteur en chef, six ans avant qu’elle n’illustre ce double album. 

Comme sur Valleys Of Neptune, ce ne sont pas les chansons qui sont inédites mais les versions. Qu’il s’agisse de « Mannish Boy » (reprise de Muddy Waters), « Hear My Train A Comin’ » ou « Stepping Stone », on est en territoire connu. On notera aussi la présence de « Woodstock », une chanson de Joni Mitchell notamment reprise par Crosby Stills Nash & Young, qui en firent le principal single de l’album Déjà Vu, sorti en 1970. La vraie nouveauté de ce double album, celle qui justifie l’achat pour les Hendrixophiles acharnés, c’est « $20 Dollar Bill », une chanson de Stephen Stills où Jimi l’accompagne à la guitare. Même les bootleggers les plus acharnés n’avaient pas exhumé ce joyau. 

Jimi Hendrix – Paris 1967

Et on conclut ce Rewind hendrixien avec un cinquième album, Paris 1967. Malgré son look de bootleg, il s’agit bien d’un disque officiel, celui du second passage de Jimi à l’Olympia. Il s’y était produit une première fois en 1966 en première partie de Johnny Hallyday, et une seconde l’année suivante, pour une prestation que l’on retrouve ici, sur ce vinyle sorti en 2021 à l’occasion du Record Store Day (Il y en aura une troisième, en 1968, comme le savent les fans et les pirates). Cet enregistrement du 9 octobre 1967 était paru en 2003 sur Dagger Records, avec deux morceaux manquants, ici présents : « Catfish Blues » et « The Wind Cries Mary ». Trois mois après sa prestation incroyable au festival de Monterey, cinq mois après la sortie de l’album Are You Experienced ?, Jimi est désormais bien identifié en France et la salle est blindée.

Jimi Hendrix - Paris 1967
Le cinquième album, « Paris 1967, » capture la deuxième performance de Jimi Hendrix à l’Olympia en 1967, devenant officiel malgré son apparence de bootleg, avec une foule bondée qui avait découvert Hendrix après sa performance au festival de Monterey et la sortie d' »Are You Experienced? » cinq mois auparavant.

Un titre reste manquant de ce concert mythique, « The Burning Of The Midnight Lamp », dont on n’est pas sûr qu’il ait été enregistré. Si ce concert (quasi) intégral tient sur un album vinyle simple, c’est dû à l’époque, les concerts durant souvent aux alentours de 45 minutes. La plus longue prestation scénique de Jimi reste celle de Woodstock, le dernier soir du festival, le 18 août 1969, quand il joua près de deux heures. Ironique quand on sait que ce concert fut vu par les « survivants » du marathon Woodstock, quelques milliers de freaks acharnés somnolant dans la boue laissée par les trois jours de « paix, amour et musique » de cet événement qui ouvrit la porte des seventies. 

Fun Fact repéré par Yazid Manou, monsieur Hendrix pour la France, la photo de couverture, prise en mai 1967, n’a pas été shootée à Paris mais à Berlin. C’est durant le concert parisien que Jimi, fait quasi unique, lâche quelques mots en Français. Pas grand-chose, juste un classique « Je vous aime beaucoup », mais quand même. Le présentateur du concert n’était autre que Sam Choueka alias Chico D’Agneau, du duo Groucho & Chico, mais son speech d’intro a été coupé, et il n’en reste sur le vinyle que le lancement (« Et voici maintenant Jimi Hendrix ! »). Anecdote touchante racontée par Yazid que lui avait transmis Sam : Jimi avait demandé à Sam comment dire « Je vous aime beaucoup » en Français et Jimi n’arrivant pas à le prononcer correctement, Sam lui a écrit sur un morceau de papier accroché à l’arrière de sa guitare. 

Voilà, fin de ce blog Rewind consacré à Jimi, mais il ne serait pas complet si on n’y ajoutait l’ouvrage édité en 2022 par Petit À Petit, Jimi Hendrix En BD, 200 pages dessinées par 28 artistes différents sur un scénario d’Olivier Petit, les textes documentaires étant signés… Yazid Manou bien sûr, who else ?


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Olivier Cachin est journaliste et écrivain. Fondateur du magazine L’Affiche et de l’émission télévisée Rapline dans les années 1990, il a été rédacteur en chef du magazine hip-hop Radikal et a écrit une vingtaine de livres parmi lesquels L’Offensive Rap, Soul For One, Rap Stories, ainsi que les biographies de NTM, Nino Ferrer, Prince et Michael Jackson. Conférencier, il intervient en France et à l’étranger.

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