Stevie Wonder – Le Rewind présenté par Olivier Cachin

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Un Rewind aux couleurs de la prestigieuse maison Motown, le label de la soul teintée de pop qui a traversé les décennies et dont la signature la plus prestigieuse est celle d’une de ses plus anciennes recrues, celui qui débuta sous le surnom de « 12 year old genius ». On parle bien sûr de Little Stevie, le légendaire Stevie Wonder. Let’s go.

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Talking Book (1972)

Et on débute avec un album vieux de plus d’un demi-siècle qui n’a rien perdu de son éclat, Talking Book. L’année 1972 est riche en actualité pour le toujours jeune Stevie, puisqu’il va enchainer deux albums majeurs, d’abord Music Of My Mind, puis ce Talking Book qui confirme que l’on est entré dans la période dite « classique » de l’auteur, et aussi celle de son usage de plus en plus intensif des synthétiseurs. Première surprise, l’artiste apparait en couverture sans son éternelle paire de lunettes noires. Les dix chansons sont toutes écrites, coproduites et interprétées par Stevie, avec un coup de main d’Yvonne Wright pour les paroles de « You Got It Bad Girl ». 

Stevie Wonder éblouit avec Talking Book, un classique intemporel de 1972, marquant le début de son utilisation intensive des synthétiseurs, tout en surprenant en apparaissant sans ses lunettes noires emblématiques.

Élément crucial de ce disque remarquable, Robert Margouleff, cosigne la production de l’album avec Stevie et Malcolm Cecil. Ce technicien d’exception connait depuis longtemps Robert Moog, pionnier légendaire du son synthétique. Et il va apporter tout son savoir-faire au passionné de son qu’est Stevie. 

Fun Fact sur Margouleff : En 1997, il a participé à la création de Mi Casa Multimedia, dont les studios sont situés à Hollywood, dans l’ancienne maison de Bela « Dracula » Lugosi. Autre fait amusant : Il a aussi produit un des meilleurs albums de Devo, Freedom Of Choice, en 1980. 

Sur Talking Book, deux singles qui ont marqué l’histoire de la soul music : « You Are The Sunshine Of My Life », aux sonorités easy listening, et l’immarcescible « Superstition », concentré de funk R&B dont les sonorités inédites annoncent une nouvelle ère. Stevie n’est plus l’enfant prodige groomé par Berry Gordy, mais un jeune homme de 22 ans qui sait exactement où il veut aller. Sur « Big Brother » et « Maybe Your Baby », Stevie propose des sonorités futuristes et s’éloigne de la doxa Motown pour explorer des nouveaux territoires, musicaux et textuels, comme il l’a expliqué 28 ans après sa création :

Je voulais exprimer tout ce que je ressentais, d’un point de vue politique et d’un point de vue social, exprimer mes passions, mes émotions et l’amour que je ressentais, aussi bien l’amour qui procure de la joie que celui qui procure de la douleur

Mission accomplie avec ce chef-d’œuvre certifié disque d’or au Canada et en Angleterre. On notera que durant deux mois de l’année 1972, Stevie tourne aux États-Unis en double programme avec les Rolling Stones, culminant avec un final new-yorkais, trois soirs sold out au Madison Square Garden. 

Fulfillingness’ First Finale (1974)

Rewind 2, et on reste dans l’excellence avec Fulfillingness’ First Finale, un titre difficile à prononcer (Eddie Murphy en profitera pour en faire une vanne dans son fameux sketch « Singers » en 1984) pour un album facile à apprécier : De « Smile Please » à « Please Don’t Go », c’est à un nouveau festival de sons avant-gardistes et de mélodies évidentes que nous convie Stevie, sous une pochette en forme de patchwork dessiné où apparaissent Martin Luther King, John Fitzgerald Kennedy, le bus de la « Motor Town Revue » et le tout jeune Stevie avec son harmonica, souvenir d’une époque révolue et pourtant pas si lointaine. 

Fulfillingness’ First Finale, un chef-d’œuvre musical où Stevie Wonder nous régale d’une multitude de sons avant-gardistes et de mélodies captivantes, sous une pochette évoquant une époque révolue mais proche.

Stevie est alors un survivant : Moins d’un an auparavant, le 6 août 1973, alors que son album Innervisions vient de sortir, Stevie est assis à la place du mort dans la voiture qui l’amène vers son concert, à moitié endormi. Il est réveillé par un bruit terrifiant, celui de la voiture s’encastrant dans l’arrière d’un camion. Le chauffeur de la voiture de location est blessé, Stevie aussi. Il passera plusieurs jours dans le coma, et le monde entier est soulagé quand on apprend que le jeune artiste est finalement sorti d’affaire, et mettra moins d’un an à enchainer avec ce nouvel album. 

Un album qui propose un single adressé au président Richard Nixon au titre explicite, « You Haven’t Done Nothing », où apparaissent les Jackson 5, qui partiront du giron de la Motown deux ans plus tard, à la recherche de plus d’autonomie et de liberté artistique. Stevie, lui, a déjà acquis cette liberté au sein du label, Berry Gordy ayant fini par comprendre que les audaces soniques de son poulain ne signifiaient pas forcément moins de succès commercial.

Je savais que je prenais des risques », se souvient Stevie, « mais ça n’était pas une raison pour que j’arrête d’expérimenter

Le second single, « Boogie On Reggae Woman » a un titre trompeur, vu qu’il n’est ici question ni de groove reggae, ni de boogie. On y retrouve l’harmonica de ses débuts, un critique de l’époque allant jusqu’à affirmer qu’il lui rappelle les sonorités de « Fingertips », le premier hit de Stevie. Moins solaire et plus sombre, « They Won’t Go When I Go », où il retrouve Yvonne Wright comme parolière, évoque une marche funéraire, avec un piano délivrant une mélodie qui fait parfois penser aux œuvres de Frédéric Chopin. La noirceur de cette composition a-t-elle un lien avec le terrible accident de voiture qui manqua de lui coûter la vie ? On peut le penser. La chanson a été reprise notamment par George Michael (sur son album de 1990 Listen Without Prejudice Vol. 1), Camille (sur le tribute album de 2014 I Sing Stevie : The Stevie Wonder Songbook) ainsi que Josh Groban (en 2010 sur l’album Illuminations). 

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Songs In The Key Of Life (1976)

Troisième Rewind, et là on est au cœur de l’excellence avec Songs In The Key Of Life, ultime classique du golden age, certifié disque de diamant aux USA avec plus de 5 millions de doubles albums vendus, Grammy du meilleur album de l’année et troisième album d’affilée pour Stevie débutant sa carrière à la première place des charts Billboard. On trouve sur ce double album (accompagné d’un 45 tours avec quatre titres supplémentaires) des hits à la pelle : « Sir Duke », « I Wish », « Isn’t She Lovely », « As » (dont Mary J. Blige et George Michael feront une superbe reprise) et « Another Star », autant de singles qui feront la réputation de ce disque exceptionnel qui ressemble à un best of.

Songs In The Key Of Life, le summum de l’excellence, certifié disque de diamant aux USA et récoltant le Grammy du meilleur album de l’année, marque le triomphe inégalé de Stevie Wonder avec une cascade de hits, façonnant un album qui semble être un best of en lui-même.

 Une chanson de ce projet spectaculaire connaitra une autre vie à travers le sampling dans le monde du rap : En 1995, pour illustrer la B.O. du film Dangerous Minds avec Michelle Pfeiffer (Esprits Rebelles en France), le rappeur californien Coolio, accompagné du chanteur L.V. pour le refrain, reprend la mélodie et une partie des lyrics de « Pastime Paradise » pour en faire le méga hit hip-hop/R&B « Gangsta Paradise ».

Ce que l’on sait moins, c’est que quatre ans auparavant, un autre groupe de rap utilisait pour la première fois un sample de ce morceau superbe : IAM reprenait en effet « Pastime Paradise » sur « Tam Tam De L’Afrique », un morceau évoquant la traite négrière (inclus sur le premier album … De La Planète Mars). Le groupe avait d’ailleurs raconté que l’autorisation avait été accordée par Stevie en personne, pour un tarif très bas compte tenu du sujet de la chanson. 

Avec treize semaines en tête des charts, Songs In The Key Of Life est le plus gros succès de l’année pour Stevie, qui conforte sa position de chanteur populaire. Travailleur acharné, il a passé des nuits et des jours en studio pour en arriver à cet impressionnant tracklisting de 22 morceaux, enchainant les sessions studio sans manger ni dormir, imposant à son équipe un rythme infernal et une productivité inédite. Le bassiste Nathan Watts a raconté être rentré chez lui à trois heures du matin après une journée intense d’enregistrement… Et recevoir, à peine arrivé, un coup de fil de Stevie lui demandant de revenir au studio pour le titre « I Wish ». 

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Pour « Village Ghetto Land » et « Black Man », deux des chansons les plus engagées du disque, Stevie a collaboré avec Gary Byrd, homme de radio, poète et producteur. Quelques années plus tard, c’est Stevie qui produira « The Crown », le single rap de dix minutes signé Gary Byrd Experience qui retrace l’histoire des Noirs à travers les âges sur lequel Stevie fait une apparition. Un titre indémodable et remarquable, dont la sincérité émane de chaque rime. Hélas, ce sera l’unique sortie de Wondirection Records, le label monté par Stevie pour sortir le single de Gary. 

D’autres artistes prestigieux apparaissent sur Songs In The Key Of Life : Minnie Riperton et Deniece Williams pour les chœurs, Michael Sembello (futur interprète du hit « Maniac ») et George Benson à la guitare, Herbie Hancock sur « As ». En tout, ce sont plus de 130 personnes qui ont participé à ce double album et contribué à en faire un monument de la soul music contemporaine.  

Hotter Than July (1980)

Rewind 4, Hotter Than July. Avec le single « Happy Birthday », écrit en hommage au pasteur pacifiste Martin Luther King, Stevie venge l’échec relatif de son précédent projet, le très mystique The Secret Life Of Plants, qui ne contenait aucun tube et dont Berry Gordy avait confirmé l’échec commercial en déclarant qu’avec un million d’albums pressé, il y en avait « 900.000 de trop »

Hotter Than July, où Stevie Wonder venge l’échec relatif de son précédent projet avec le puissant hommage à Martin Luther King, « Happy Birthday », après le flop de The Secret Life Of Plants, déclaré par Berry Gordy comme un million d’albums pressés, dont 900 000 étaient « de trop ».

Pour ce retour aux affaires, Stevie a travaillé dans son tout nouveau studio, Wonderland, et a mis le paquet. Le single « Master Blaster (Jammin’) » tire son inspiration du reggae roots de Bob Marley, que Stevie avait rencontré l’année précédente à Philadelphie. Cette fois, c’est bien le groove jamaïcain qui inspire Stevie, pour un résultat détonant. « I Ain’t Gonna Stand For It », un autre single extrait de l’album, a plutôt une couleur country, et « Lately » est une pure balade. 

L’histoire retiendra que c’est en grande partie grâce à la chanson « Happy Birthday », accompagnée d’un lobbying intense par Stevie lui-même, que le président américain Ronald Reagan finira par officialiser, le 2 novembre 1983, la création d’un jour férié en l’honneur du pasteur assassiné, le troisième lundi de chaque mois de janvier. La première célébration de cette date symbolique eu lieu le 20 janvier 1986 et fut l’occasion d’un concert géant dont Stevie était bien sûr la vedette. 

Sur la pochette intérieure, une photo grand format de Martin Luther King avec ses dates de naissance et de mort (15 janvier 1929/4 avril 1968) d’un côté, et de l’autre cinq photos en noir et blanc montrant une manifestation pacifique, des émeutes urbaines et des brutalités policières. Un album engagé donc, mais aussi très pop, et un bel exorcisme après la baisse de régime de Secret Life Of Plants.

Jungle Fever B.O. (1991)

Cinquième et ultime Rewind, cette fois on entre dans les années 1990 avec la B.O. d’un film de Spike Lee, Jungle Fever, dont le casting inclut Samuel Jackson dans le rôle de Gator le crackhead (qui lui valut d’être meilleur acteur dans un second rôle au festival de Cannes), Wesley Snipes, John Turturro et Anthony Quinn ainsi que les premières apparitions à l’écran de la rappeuse Queen Latifah et de Halle Berry. 

La bande originale du film de Spike Lee, Jungle Fever met en vedette une distribution impressionnante et les débuts à l’écran de Queen Latifah et de Halle Berry.

Réflexion douce-amère sur les mariages interraciaux, ce film fut un succès commercial pour Spike Lee avec un box-office à 44 millions de dollars (pour un budget estimé à 13 millions) et donna à Stevie son cinquième album numéro un consécutif dans les charts. Sur les onze titres de ce soundtrack dont le single était « Gotta Have You », coécrit par son bassiste Nathan Watts, le plus émouvant était sans nul doute « Chemical Love » (ultérieurement repris par David Byrne et St. Vincent en 2023 sur la scène de la Brooklyn Academy Of Music). On y retrouve un Stevie fragile, avec un léger effet sur la voix, aux commandes d’une mélodie envoûtante et synthétique, faisant de ce titre le secret le mieux gardé dans la discographie de Stevie, belle création restée tapie dans l’ombre du CD de la B.O., en dixième position, sans clip ni playlist pour se déployer. 

À 74 ans, Stevie est toujours actif, on le voit çà et là sur des scènes, invité sur le disque d’un ami musicien ou pour un hommage, comme récemment à la célébration de Dexter Scott King durant laquelle il chanta « They Won’t Go When I Go ». Mais pour ce qui est de la course à la pop staritude, il a quitté l’aventure discographique depuis A Time 2 Love en 2005, album honorable, mais vite oublié. Reviendra-t-il ? 

Oui. Au fond, il n’est jamais vraiment parti.

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Olivier Cachin
Olivier Cachin est journaliste et écrivain. Fondateur du magazine L’Affiche et de l’émission télévisée Rapline dans les années 1990, il a été rédacteur en chef du magazine hip-hop Radikal et a écrit une vingtaine de livres parmi lesquels L’Offensive Rap, Soul For One, Rap Stories, ainsi que les biographies de NTM, Nino Ferrer, Prince et Michael Jackson. Conférencier, il intervient en France et à l’étranger.

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