Le Rewind : Pet Shop Boys présenté par Olivier Cachin

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Mis à jour le 10 janvier 2022

Piliers de la Britpop depuis les années 1980, les Pet Shop Boys sont un duo synthétique typique de cette décennie qui vit la démocratisation des synthétiseurs, ouvrant la voie à des groupes minimalistes dans leur formation comme Soft Cell, Orchestral Manœuvres In The Dark et Blancmange. 

Neil Tennant, le chanteur, et Chris Lowe, le musicien, ont fondé le groupe en 1981 à Londres. Critique musical pour le magazine pop anglais Smash Hits, Neil a profité d’un voyage de presse à New York pour rencontrer Bobby Orlando, producteur de disco underground dont il était fan, et le convaincre de produire leur premier single. Bobby « O » n’est plus qu’un lointain souvenir quand le duo sort Actually, second album qui, trois ans après le single qui les fit décoller, « West End Girls », contient quatre de leurs lus gros succès : Le numéro 1 des charts « It’s A Sin », « Rent » (qui sera plus tard repris par Liza Minnelli, pour laquelle ils ont produit l’album Results en 1989), « Heart » (un autre numéro 1) et « What Have I Done To Deserve This », qui invite sur le refrain une de leurs idoles de jeunesse, Dusty Springfield. Comme tous les albums des Boys, le titre est composé d’un seul mot, et la pochette insolite (Chris y fait la gueule tandis que Neil baille les yeux fermés) a généré une critique aussi amusante que lapidaire d’un journaliste british : « Comment peut-on faire confiance à un groupe dont le chanteur baille en couverture ? »

Le disque s’ouvre avec un dernier souvenir des années Bobby « O », « One More Chance », coécrit par le producteur américain. On notera aussi au tracklisting le titre « Shopping », vive critique du consumérisme et des privatisations lancées par le gouvernement, qui fut pourtant utilisé à de multiples reprises dans la bande-son de multiples TV shows. Aux commandes du son, quelques poids lourds des studios comme Stephen Hague, qu’ils retrouveront plus tard dans leur carrière, et Julian Mendelsohn. C’est Angelo Badalamenti qui signe les arrangements de cordes du somptueux « It Couldn’t Happen Here », qui est aussi le titre de leur long-métrage sorti en 1987. 

Rewind 2, et c’est Behaviour, sorti en 1990, deux ans après le EP Introspective. Cette fois, le responsable de la production est Harold Faltermeyer, qui fit ses classes aux côtés de Georgio Moroder et signa en 1984 l’instrumental « Axel F », un méga hit inclus sur la BO de la comédie d’Eddie Murphy Beverley Hills Cop. L’enregistrement a lieu à Munich, avec des synthétiseurs analogues qu’Harold maitrise à la perfection. 

Ouvert avec « Being Boring », une des plus belles chansons de leur carrière, Behaviour est teinté de nostalgie : Ce titre élégiaque qui évoque les amours perdues, les amis décédés et le chemin parcouru depuis l’adolescence a été accompagné d’une vidéo en noir et blanc réalisée par Bruce Weber. Neil Tennant : « Cette chanson est l’histoire de l’ami dont les funérailles sont racontées dans “Your Funny Uncle” : il avait fait une soirée en 1972 où tout le monde devait s’habiller en blanc et dont le carton citait une phrase écrite en 1922 par Zelda Fitzgerald, la femme de F. Scott Fitzgerald, “Elle se couvrit le visage de poudre et de fond de teint parce qu’elle n’en avait pas besoin et refusait de s’ennuyer principalement parce qu’elle n’était pas ennuyeuse. Elle était consciente que les choses qu’elle faisait étaient les choses qu’elle avait envie de faire”. Ça m’a fait penser à ce que nous avions fait de nos vies »

Un extrait de ce titre poignant : « Maintenant je suis avec d’autres visages/ Dans des chambres louées et des endroits étrangers/ De tous les gens que j’ai embrassés/ Certains sont là et d’autres s’en sont allés/Dans les années 90/Je n’aurais jamais rêvé que je serai/ La créature que j’ai toujours voulu être/ Mais je croyais malgré mes rêves/ Que tu serais quand même là, assis avec moi »

« Jealousy », dernier morceau de la face B, est le titre préféré de Robbie Williams, qui collaborera avec les Boys sur « She’s Madonna » en 2006, une chanson incluse sur son album Rudebox.

Rewind 3, Very, une borne majeure dans la discographie des Boys. On y trouve « Dreaming Of The Queen », où Neil chante le cauchemar récurrent d’une majorité de Britanniques : Se retrouver nu devant la Reine d’Angleterre. Une chanson à tiroir, qui évoque aussi bien la disparition de Lady Diana que l’épidémie de sida qui ravageait alors le monde, peu de temps avant la trithérapie, quand l’annonce de la maladie équivalait à une sentence de mort. Neil : « C’est mon morceau favori sur l’album. J’avais lu que l’un des rêves les plus courants des gens, c’était la venue de la Reine à leur domicile. C’est parfois considéré comme un signe d’anxiété, parfois comme un rêve agréable. J’avais déjà le chorus qui était à l’origine “Only lovers left alive”, d’après le titre d’un livre des sixties que m’avait donné Jon Savage, mais j’ai réalisé qu’en fait le morceau parlait du sida et donc “No more lovers left alive” convenait mieux »

Extrait : « J’ai rêvé de la Reine/ Qui venait prendre le thé/ Toi, et elle et moi/Et Lady Diana/ La reine dit ‘je suis effarée/ L’amour ne semble jamais durer/Même quand on essaie de s’y accrocher/ Et Di a répliqué/ Il n’y a plus d’amants qui soient vivants/Et voilà pourquoi l’amour est mort »

Tout l’album est splendide, de l’ouverture « Can You Forgive Her » à la reprise de « Go West », hit disco pour Village People à la fin des seventies devenu ici, avec des accords mineurs et la présence d’une chorale masculine dont tous les chanteurs sont malades du sida, une vision du Paradis, symbolisé par ce départ à l’Ouest, un voyage dont on ne reviendra pas. 

Sur le CD, à la fin des 12 chansons composant l’album, un titre caché d’une minute 17, « Postscript (I Believe In Ecstasy) » : une des très rares apparitions de Chris Lowe au chant, sept ans après le morceau « Paninaro », dans lequel il chantait « Je n’aime pas la country, je n’aime pas la musique rock, je n’aime pas particulièrement le rockabilly et le rock & roll. Je n’aime pas grand-chose, n’est-ce pas ? Mais ce que j’aime, je l’aime passionnément ». Et nous, on aime ce faux silent partner qu’est Chris. Passionnément, évidemment.

Rewind 4, et là c’est Fondamental, ou plutôt Fundamental, un album entièrement produit par l’architecte de la pop technologique, l’homme responsable du son énorme de « Relax » pour Frankie Goes To Hollywood, avec qui Neil et Chris s’étaient pourtant jurés de ne plus travailler tant il lui avait fallu des mois (six pour être précis) afin de finaliser leur incroyable single « Left To My Own Devices » en 1988. 

Neil se souvient du travail colossal réalisé par le wonderman des studios digitaux : « Il faut dire qu’à l’époque de “Left To My Own Devices”, Trevor travaillait avec Paul McCartney et les Simple Minds. Là, il était à fond sur notre album, et on a mis cinq mois pour l’enregistrer. Dans les années 1980, Trevor Horn était le meilleur producteur du monde, il a fait tous ces disques magnifiques avec ABC, Grace Jones, Art Of Noise, Frankie Goes To Hollywood et aussi ces superbes singles pour Dollar. C’était une grande inspiration pour nous, et là on s’est dit qu’il pourrait amener encore plus loin les chansons qu’on avait écrites. Pour “The Sodom And Gomorrah Show”, qui est un 4/4 assez classique, il a tout réinventé. Rien que sur ce morceau, on a passé des semaines pour qu’il sonne, qu’il soit différent. Et puis c’est bien d’avoir un album cohérent en termes de son. Et c’est plutôt ambitieux comme résultat. Pour moi, ça sonne comme un Greatest Hits. Il y a tellement de chansons accrocheuses, et c’est ce qu’il y a de plus dur à faire. Les chansons complexes, on peut les faire de façon mathématique, comme des équations. Mais l’apparence de la simplicité est dure à atteindre »

« Casanova In Hell » propose uneambiance sixties revendiquée. Neil encore : « Ça me faisait penser à “Heartache Avenue” des Maisonettes, ce tube anglais produit par Tony Mansfield en 1982. D’ailleurs je les avais interviewés à l’époque quand j’étais journaliste à Smash Hits »

La voix de Neil a évolué depuis ses débuts dans les années 1980, comme il le faisait remarquer dans ses interviews de l’époque : « C’est étrange, mais ma voix devient plus haute en vieillissant… Quand on faisait en live “Love Comes Quickly”, qui est très haut perché, on devait le descendre d’une tonalité. Maintenant j’ai appris à mieux utiliser ma voix, et je me sers plus souvent du double tracking. Et des harmonies : sur nos trois premiers albums il n’y en avait pas du tout. Trevor est top pour ce genre de chose, il est même spécialiste. Ma voix est donc plus assurée, mais certains fans trouvent qu’elle est trop féminine, ils préfèrent le côté plus dur qu’elle avait dans des chansons comme “Suburbia”. J’utilise aussi l’AutoTune. Certains trouvent ça ringard mais j’aime bien quand on le pousse au maximum, ça sonne un peu comme du folk. Madonna s’en est tellement servi sur son dernier album que sa maison de disques s’est plainte. Mais le principal effet reste le double tracking, que j’ai utilisé sur toutes les chansons de l’album à part“ Indefinite Leave To Remain”. Quand on a produit Dusty Springfield il y a 20 ans, on lui faisait toujours faire des double tracks parce que c’était comme ça qu’on retrouvait la magie de Dusty. Il y a des voix qui sonnent bien double trackées, d’autres pas. Il faut avoir une voix assez fine pour que ça fonctionne ».

Dernier album de ce Rewind, un autre disque qui compte dans la foisonnante discographie du duo qui, rappelons-le, a vendu un total de 100 millions de disques en 40 ans de carrière, et a reçu en 2009 un Brit Award pour leur « contribution remarquable à la musique ». Ce disque, c’est Electric, le premier d’un tryptique produit par Stuart Price, qui démarra sa carrière sous l’alias Les Rythmes Digitales, prétendant être un Français nommé Jacques Lu Cont qui écrivait ses compositions depuis l’asile d’aliénés où il était enfermé. Après ce gag d’introduction, il est devenu un producteur majeur, travaillant aussi bien pour Madonna que New Order, Take That, Missy Elliott, Kylie Minogue et Dua Lipa. Album de la renaissance sonique, flamboyant, follement électro mais aussi volontiers tongue in cheek et dansant (« Thursday »), Electric marquait en 2013 le début d’une quatrième décennie triomphante dans une catégorie pourtant dominée par le jeunisme, celle de la pop music. Aussi joyeux et dancefloor friendly que son prédécesseur Elyseum était introspectif, Electric propose une chanson disco qui démarre sur une mélodie d’Henry Purcell qui fut copiée par Michael Nyman, « Love Is A Bourgeois Construct », avec l’utilisation dans les lyrics du mot allemand Schadenfreude, qui désigne la joie malsaine que l’on ressent en observant le malheur d’autrui. 

On se souviendra longtemps de ce titre magique qu’est « Vocal », un tourbillon à 130 BPMs qui retrouve l’euphorie des années rave, avec une orchestration flamboyante et une mélodie uplifting comme une montée d’ecstasy. Les princes de la pop ont continué après cet Electric enthousiasmant, pop stars soixantenaires toujours pertinents dans leur domaine de compétence. Le mot de la fin pour Neil : « Je n’ai jamais compris pourquoi on devrait avoir honte de faire de la pop. C’est ce qu’il y a de plus dur ! Le rock c’est une formule, c’est plus facile. Et tout ce qui est bon dans le rock est piqué à la pop »

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