Le Rewind : Damon Albarn présenté par Olivier Cachin

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Il aurait pu rester le poster boy de Blur, ce chanteur un peu séducteur, limite boys band, héros au doux sourire d’une britpop mélodique et plus gender fluid que celle des lads d’Oasis, les éternels concurrents. Mais Damon a multiplié les alias, les expériences musicales et les voyages sonores, jusqu’à faire oublier qu’il fut un temps dans la même situation que Robbie Williams période Take That !. D’où ce Rewind multiforme qui traverse en diagonale l’œuvre de mister Albarn en 5 albums essentiels. Go Damon, goddam !

Impossible pour autant de commencer cette sélection autrement qu’avec Blur, et tant qu’à faire avec l’un de leurs meilleurs disques, Parklife. On est en 1994, et après Leisure, un premier album dans le style baggy mancunien qu’il a vite détesté (« Awful », a-t-il carrément déclaré lors d’une interview treize ans après sa sortie) et Modern Life Is Rubbish, un second plus britpop, Damon envoie Blur dans la stratosphère avec « Girls & Boys », ouverture de ce Parklife décomplexé qui sera vite certifié quadruple platine en UK, et se vendra à cinq millions d’exemplaires dans le monde. 

Un triomphe que Damon avait vu venir… Un an avant la sortie du premier album, quand il déclarait avec aplomb à des journalistes anglais que lorsque paraitrait le troisième album de Blur, « (Notre) place en tant que groupe britannique quintessentiel sera assuré. C’est pour moi une simple évidence, et j’ai l’intention de le composer en 1994 ». De fait, les 15 chansons de ce classique pop (plus l’instrumental de clôture « Lot 105 ») sont d’excellente facture, de « Girls & Boys » (remixé par les Pet Shop Boys, qui le reprendront sur scène) à « This Is A Low » en passant par « End Of A Century », dernier single extrait du LP. Les influences de cet album (qui devait dans un premier temps s’intituler London) sont multiples, allant jusqu’à la valse à trois temps pour l’interlude « The Debt Collector » en passant par le punk rock pour « Bank Holiday » et le rock psychédélique de Pink Floyd pour « Far Out », avec un twist Nouvelle Vague dans « To The End », dont quelques paroles sont chantées en Français par Laetitia Sadier du groupe Stereolab. La photo de couverture, une course de lévriers, fut reprise 14 ans après la sortie de l’album pour une série de timbre de la Royal Mail pour sa série « Classic Album Covers ». 

Rewind 2, et on largue les amarres de la pop britannique pour se diriger vers l’éclectisme multiculturel et polyrythmique des Gorillaz, super groupe lancé dans l’anonymat en 1998 par Damon et son ami dessinateur et créateur du comics Tank Girl, Jamie Hewlett. Dans l’anonymat, il faut le dire vite car dès les premières apparitions en concert où le groupe jouait en ombres chinoises derrière une tenture, nombreux étaient ceux qui avaient compris que derrière les personnages fictifs de Murdoc Niccals, 2-D, Noodles et Russel Hobbs se cachaient Damon et ses amis. 

Pour Plastic Beach, troisième album des Gorillaz, on retrouve une nouvelle fois un casting hallucinant, rassemblant des stars et des artistes culte de tous horizons, allant de Lou Reed à De La Soul en passant par Bobby Womack, Snoop Dogg, Mos Def, Mark E. Smith The Fall, Gruff Rhys, et on en oublie. L’explication du titre ? Il vient de l’imagination de Damon et Jaimie, qui ont pris comme décor une ile flottante dans le Pacifique Sud, formée des débris industriels abandonnés par une humanité devenue championne de la pollution terrestre. Ce n’est hélas pas une fiction, puisque le « great pacific garbage patch » existe dans l’océan Pacifique, trois tonnes de plastique sur une étendue large comme deux fois l’état du Texas. 

Le premier single officiel est « Stylo », avec la voix gorgée de soul de Bobby Womack à l’avant du mix et le rappeur Mos Def en renfort, mais le meilleur titre est sûrement « On Melancholy Hill », troisième single extrait de l’album. On se croirait revenu en 1981, à l’âge d’or de la new wave, jusqu’à ce que la paisible voix de Damon nous ramène vers des rivages plus contemporains. Lou Reed, Mick Jones, Paul Simonon, Snoop Dogg et De La Soul sont les invités cartoonisés du clip aquatique. « C’est bon d’avoir un authentique moment pop sur chaque album », a pour le coup affirmé le bassiste animé Murdoc. 

« Empire Ants » invite la chanteuse suédoise Yukimi Nagano, qui fera également une apparition sur « To Binge ». Le quotidien anglais The Guardian a considéré que ce disque bénéficiait d’une « ambition musicale kaléidoscopique ». De fait, Plastic Beach est un album solide, une nouvelle preuve que le concept des Gorillaz n’était pas un caprice de star mais un projet au long cours, avec sept albums en vingt ans d’existence. 

Rewind 3, direction Kinshasa ! C’est en effet dans la capitale de la République Démocratique du Congo (ex-Zaïre) que Damon est allé enregistrer, en cinq jours du mois de juillet 2011, ce qui deviendra l’unique album signé DRC Music, Kinshasa One Two. Un album ethno techno où se côtoient 50 musiciens congolais, Dan The Automator, Richard Russell et le DJ/producteur US Totally Enormous Extinct Dinosaurs (TEED). Le single ouvrant la face A est « Hallo », sur lequel la voix acide de Nelly Liyemge se marie à la perfection avec celle de Damon, qui ne chante que sur ce morceau, histoire d’assurer un single bankable à un disque dont les profits allèrent à l’organisation caritative Oxfam. 

Ce projet étonnant sorti sur le label électronique Warp Records offre à des artistes congolais une fenêtre rare sur le marché du disque pop. On y trouve l’incroyable Jupiter Bokondji et son groupe Okwess International sur « Ah Congo », « Love » est un a capella foudroyant produit par TEED et Bokatola System conclut l’album avec « Departure », 7 minutes entre introspection et beat furieux, la conclusion idéale d’un projet typique de Damon Albarn, entre tradition et modernité, entre son ile anglaise et le continent premier, un de ses multiples projets impliquant des musiciens africains. 

Rewind 4, et ça devient personnel : Everyday Robots, sorti en 2014, est présenté comme le premier album solo de Damon, 24 ans après ses débuts avec Blur, comme si le décevant album de 2012 Dr Dee, un opéra enregistré avec un orchestre symphonique, Simon Tong et Tony Allen (deux membres de The Good, The Bad & The Queen), n’avait pas existé. Dès le premier morceau, celui qui donne son nom à l’album, on trouve beaucoup de mélancolie et une entêtante mélodie. 

Fun Fact : « Everyday Robots » a été conçu pendant un embouteillage à Los Angeles, et s’impose comme une douce critique de la technologie sur beat synthétique. 34 ans après, voilà la suite (ana)logique du « We Are The Robots » de Kraftwerk. « C’est mon disque le plus personnel », dira sans surprises Damon lors de sa sortie. Invité de prestige : Brian Eno, le Mazarin de la pop contemporaine, est présent sur deux chansons, « You & Me » où il joue du synthé et « Heavy Seas Of Love » où il chante. 

Pour en arriver aux douze titres du résultat final, Damon enregistra une soixantaine de maquettes, et c’est son ami et fidèle collaborateur Richard Russell qui effectua la sélection des titres en choisissant ses préférées. « The Selfish Giant » sample un texte d’Oscar Wilde dit par le comédien Robert Morley tandis que Natasha Khan, de Bat For Lashes, chante d’une voix éthérée créditée comme un « l’écho fantôme » ; et « Mr Tembo » fut écrit pour le bébé éléphant du zoo de Mkomazi en Tanzanie. Un clin d’œil psychédélique est inclus dans « Photographs (You Are Taking Now) », qui sample la voix du Pape de l’acide Timothy Leary. « Lonely Press Play », le second single, fut accompagné d’un clip lo-fi tourné avec l’iPad de Damon à Londres, à Tokyo, en Islande, à Dallas, en Corée du Nord, dans l’Utah et dans la campagne anglaise. En tout, cinq singles seront extraits de ce disque dense, bien accueilli par la critique et le public. 

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Rewind 5 et fin, et on conclut avec le second album du « super groupe » de Damon (une dénomination qu’il n’apprécie guère), The Good, The Bad & The Queen. Merrie Land est un disque sombre, dont le Brexit fut le déclencheur et Tony Visconti le producteur. Démarré en 2006 comme un projet solo produit par Danger Mouse, TGTBATQ devient un groupe de quatre personnes, avec aux côtés de Damon le bassiste des Clash Paul Simonon, le guitariste de The Verve Simon Tong et le batteur de Fela Tony Allen. 

Le premier album éponyme était sorti en 2007, et il aura fallu attendre onze ans pour entendre la suite, qui sera hélas vraisemblablement la fin suite au décès de Tony Allen le 30 avril 2020. Démarré avec l’anaphore « If you are leaving », la chanson titre sonne comme un adieu au monde d’avant. Tristesse infinie, constat d’échec d’une civilisation autodestructrice, voix brumeuse de Damon, tout concourt à faire de « Merrie Land » un grand morceau. Décrit par Paul Simonon comme « de la musique folk anglaise avec un brin de rub-a-dub en plus », le style unique et théâtral de ce groupe improbable est ici agrémenté des cordes jouées par le quatuor Demon Strings, qui travailla avec Damon sur son album solo et sur trois disques des Gorillaz. 

Sacré album de l’année 2018 par le Sunday Times, Merrie Land est une des multiples facettes d’un artiste dont l’éclectisme n’empêche jamais le grand public d’y trouver son compte, Damon étant particulièrement doué pour alterner les projets difficiles et ceux plus aisés d’accès. Le dernier album de Blur datant de 2015 et ses quatre membres étant restés les mêmes depuis le début, l’hypothèse d’un retour britpop du groupe n’est pas à exclure. Et pourrait même, dans la foulée, susciter un comeback des éternels rivaux, les frères Gallagher. On peut toujours rêver… 

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