Le Rewind Bob Dylan présenté par Olivier Cachin

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Un barde électrique détenteur d’un prix Nobel de littérature. Soixante ans de carrière. Une tournée sans fin. Et un Rewind placé sous le signe du rock littéraire avec, donc, Bob Dylan. 

On débute avec Highway 61 Revisited, sorti en août 1965. Michael Gray, à qui l’on doit de nombreux articles et livres sur Dylan, résumait ainsi l’importance de ce disque de référence : « Les années 1960 commencent avec cet album »

En mai 1965, peu de temps avant d’enregistrer cet album essentiel, Dylan revient d’une tournée anglaise épuisante, et est sur le point d’abandonner le showbiz, déçu par lui-même et ses chansons. Il écrit alors une vingtaine de pages en vers, qu’il qualifiera par la suite de « longue vomissure ». C’est pourtant cette « vomissure », élaguée et réduite à quatre couplets et un refrain, qui formera l’ossature de la chanson ouvrant la face A, « Like A Rolling Stone », pierre angulaire de l’album. Comme le reste du disque, cette composition est chargée d’électricité, une nouveauté qui va affoler les gardes rouges du folk acoustique, furieux de la « trahison » de leur héros (un membre du public le traitera carrément de « Judas » lors d’un concert). 

L’orgue électrique d’Al Kooper, la section rythmique de Bobby Gregg et Harvey Brooks, sans oublier la guitare de Mike Bloomfield, le disque est une machine de guerre folk rock avec en guise de bouquet final le pantagruélique « Desolation Row », 11 minutes 21 de texte brillant sous influence Allen Ginsberg, avec en featuring le guitariste country Charlie McCoy. Le titre sera repris 44 ans plus tard par My Chemical Romance sur la BO du film Watchmen. Quant à « Like A Rolling Stone », dont maints artistes donneront leur version (Les Rolling Stones bien sûr mais aussi David Bowie, Jimi Hendrix et Johnny Winter), il reste le morceau signature de Bob, un de ses plus brillants accomplissements à l’âge de 24 ans. 

Rewind 2, Blonde On Blonde, 1966. Un double album, et la fin d’une trilogie entamée avec Bringing It All Back Home. Cet album crucial enregistré entre New York et Nashville de janvier à juillet 1966 contient une des plus belles créations de Bob, « I Want You », au texte complexe qui contraste avec la simplicité de son titre. Enregistré à la toute fin des sessions à Nashville, ce joyau sortit en single et grimpa à la seizième place des charts britanniques. Il fut repris par Bruce Springsteen, Cher, les Hollies et Francis Cabrel en version française, sur son album reprenant des adaptations de Bob Dylan titré Vise Le Ciel

« Just Like A Woman » évoque – peut-être – Edie Sedgwick, mannequin que l’on surnomma « the it Girl » et qui fut longtemps une égérie de la Factory new-yorkaise d’Andy Warhol. Dylan déclara à un journaliste que « cette chanson n’est pas un assemblage de mots posés sur une musique, c’est une communion des deux. J’entends le son de ce que je veux exprimer ». Citons encore « Leopard-Skin Pill-Box Hat », au parfum de blues sudiste à la Lightnin’ Hopkins (le morceau emprunte d’ailleurs quelques notes et quelques paroles à l’« Automobile Blues » du susnommé) et « Rainy Day Women #12 & 35 », affront suprême aux fans d’antan avec sa fanfare à la Beatles et son « hédonisme bohémien », comme l’écrivit joliment le critique américain Andy Gill. Succès commercial, Blonde On Blonde fut certifié disque d’or en août 1967. 

« Par où commencer ? Sur les traces de Rimbaud en mouvement comme une balle qui danse à travers les rues secrètes par une chaude nuit dans le New Jersey, pleine de venin et de merveilles ». Ainsi débute le texte au verso de la pochette de Desire, un album dont la chanson clé est le très passionné « Hurricane », l’histoire d’un boxeur noir injustement condamné pour un meurtre qu’il n’a pas commis, le privant de sa liberté et d’un possible titre de champion du monde. Denzel Washington incarna Rubin « Hurricane » Carter au cinéma, mais c’est Bob Dylan qui fut l’un des premiers artistes à s’intéresser à ce fait divers emblématique du racisme qui imprègne une (trop) grande partie des États-Unis. Carter fut finalement libéré en 1985. 

Autre gros morceau de l’album, « Joey », 11 minutes autour de la figure de « Crazy » Joey Gallo, un fameux gangster présenté par Dylan comme un « bandit d’honneur », mais qui en réalité était un mafioso bien plus sadique et moins héroïque que l’imaginait le chanteur. « Sara » est une chanson intime sur l’épouse de Dylan, un de ses rares titres à s’adresser directement à une personne réelle. Sara était présente en studio le jour de l’enregistrement du morceau, le 31 juillet 1975. Une superbe déclaration d’amour, qui n’empêcha pas Sara de demander le divorce sept mois plus tard, en mars 1977. 

Rewind 4, et une curiosité qui est le résultat d’une tournée commune entre le barde électrique et le groupe de freaks hippie Grateful Dead. Jerry Garcia, le leader du Dead (oui, celui qui donna son nom à la glace à la cerise de Ben & Jerry « Cherry Garcia »), et ses musiciens sont le backing band de Dylan sur les sept morceaux de ce live étonnant. Le choix des morceaux est celui d’un best of puisqu’on y retrouve les classiques « I Want You », « Knocking On Heaven’s Door » et « All Along The Watchtower ». Si cet album aux relents gospel (N’oublions pas que Dylan s’était converti au christianisme au milieu des seventies) a connu un beau succès et a été certifié disque d’or, il fit grincer des dents certains critiques US comme Robert Christgau qui écrivit dans le Village Voice que « Dylan fait ici avec son catalogue ce qu’il a fait avec depuis des années : De l’argent ». Un jugement un peu dur pour ce live qui mérite mieux que le mépris, et qui permet de découvrir de nouvelles visions musicales pour des classiques de Dylan.

Enfin, Rewind 5 et cette fois, on en arrive au Dylan moderne, celui du 21ème siècle. Rough And Rowdy Ways, sorti en 2020, contient le très épique « Murder Most Foul », 16 minutes 54, qui occupe l’intégralité de la face 4 du (double) album vinyle. L’album est enregistré en automne 2019, soit plus de trente ans après le début de ce « never ending tour » qui débuta le 7 juin 1988 et qui vit le barde électrique parcourir le monde. Il fait suite à un silence discographique de sept ans, et surprend le public par son éclectisme et, surtout, sa qualité. Du folk acoustique (« I Contain Multitude ») au blues électrique (« False Prophet ») en passant par la balade (« I’ve Made Up My Mind To Give Myself To You »), le choix est large. 

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Mais ce 39ème album studio contient surtout un ovni, « Murder Most Foul », 16 minutes 54, soit sept de plus que « Joey », avec un thème qui résonne dans la carrière de Bob : L’assassinat de Kennedy le 22 novembre 1963 à l’âge de 46 ans. Dylan avait déjà inclus JFK dans sa discographie en 1963 sur l’album The Freewheelin’ Bob Dylan, dont la dernière chanson de la face B, « I Shall Be Free », incluait une brève conversation (fictive) entre le chanteur et le président, qui traduite donnait ceci : « Mon téléphone sonnait non-stop, c’était le président Kennedy qui m’appelait. Il m’a dit “Mon ami Bob, de quoi avons-nous besoin pour que le pays prospère ?” Je lui ai répondu “Mon ami John, Brigitte Bardot, Anita Ekberg, Sophia Loren” »

Quelques semaines après la mort de Kennedy, Dylan, qui devait recevoir un prix pour son soutien au mouvement des droits civiques, donnait un discours éthylique où il affirmait « voir un peu de lui » en Lee Harvey Oswald, l’assassin. Ce qui, bien évidemment déclencha une bronca médiatique et obligea le chanteur à expliquer ses mots, sans toutefois s’excuser ou les regretter. 

« Murder Most Foul », qui a peut-être été écrit en 2012 durant les sessions du précédent album studio de Dylan Tempest, a déclenché des réactions dithyrambiques des médias (certaines radios américaines l’ont joué dans son intégralité) et de ses pairs. Ainsi Neil Young l’a qualifié de chef-d’œuvre, Nick Cave l’a qualifié de « grande chanson » et il est le titre préféré de la discographie dylanesque d’artistes tels que David Byrne et Jarvis Cocker. 

À presque 80 ans, Robert Allen Zimmerman n’avait décidément pas dit son dernier mot. 

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