The Doors : Le Rewind présenté par Olivier Cachin

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Mis à jour le 25 septembre 2023

Une sainte trilogie hélas parfaitement adaptée pour ce groupe dont le chanteur Jim Morrison est résident permanent du Club des 27. Un Rewind sixties qui ouvre les portes de la perception… Voici les Doors.

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Strange Days (1967)

Et on débute avec Strange Days, deuxième album sorti neuf mois après l’album éponyme qui lança la carrière de ce quartette hors du commun. La chanson qui donne son titre à l’album est connue des fans, puisqu’elle date de 1966 et a déjà été interprétée en live. Nouveauté technologique : dans les studios hollywoodiens Sunset Sound Recorders, c’est avec une console huit pistes que le producteur Paul A. Rothchild et l’ingénieur du son Bruce Botnick vont capter la magie qui sort des claviers de Ray Manzarek, de la guitare de Robby Krieger et des futs de John Densmore. Le tout surmonté de la voix majestueuse du roi lézard, Jim Morrison.

Dès le premier morceau, celui qui donne son nom à l’album, on entre dans un autre monde avec la voix de Jim couplée à un synthé Moog, une première pour le groupe. Robby Krieger est le compositeur de Love Me Two Times, sorti en single en novembre 1967, mais peu diffusé en radio, car l’image sexuelle et incontrôlable du chanteur, qui se fait arrêter sur scène peu après à New Haven, commence à inquiéter les programmateurs. On est en pleine guerre du Vietnam et le thème du morceau pourrait évoquer un soldat qui part au front…

Pochette de l'album Strange Days des Doors
L’album Strange Days des Doors, est l’un des albums psychédéliques les plus mythiques de l’histoire du rock.

La face A se termine avec Moonlight Drive, morceau écrit sous influence psychotrope qui vit le jour en juillet 1965, lorsque Jim en chanta les premiers vers à Ray Manzarek sur la plage de Venice, un instant considéré par Ray comme crucial dans la formation du groupe. L’influence de Kurt Weill, dont le morceau Alabama Song fut repris sur le premier album, se fait sentir sur People Are Strange, que certains voient comme une référence à Andy Warhol, que Jim avait rencontré peu de temps auparavant. C’est un extrait du texte de ce splendide morceau qui donnera son titre au documentaire réalisé en 2010 par Tom DiCillo, When You’re Strange, raconté par Johnny Depp. 

Waiting for the sun (1969)

Rewind 2, enfilez vos lunettes noires, car voici venir Waiting For The Sun, l’album sorti en 1969, l’année qui vit Jim dévoiler les parties intimes de son anatomie lors d’un fameux concert à Miami le 1er mars de cette année érotique. Accusé d’employer un langage ordurier et d’exhibition sexuelle, le chanteur est condamné à six mois de prison et une amende de 500 dollars. Selon Ray Manzarek, Morrison était certes défoncé, mais n’aurait pas commis d’exhibition : « Ça ne s’est pas passé comme ça, c’était un cas d’hypnose de masse ».

C’est en 2010 que le gouverneur de la Floride, Charlie Crist, a obtenu le pardon posthume pour cet outrage imaginaire. Et l’album ? Il contient le second single du groupe à se classer numéro 1. En effet, Hello, I Love You renouvelle l’exploit de Light My Fire et soulève une question légitime : le riff de ce morceau a-t-il été pompé sur le fameux hit de Ray Davies, leader des Kinks, All Day And All Of The Night, sorti quatre ans auparavant ? Krieger, pour sa part, a admis que la rythmique s’inspirait du Sunshine Of Our Love de Cream. Ray Davies a raconté que son éditeur l’avait poussé à attaquer en justice les Doors, ce à quoi Ray répondit qu’il préférait qu’ils admettent avoir été influencés par sa chanson. « Ils l’ont dit, c’est pour ça qu’il faut qu’on les attaque ! » répondit l’éditeur.

En 2014, dans une interview accordée au magazine américain Rolling Stone, Ray Davies évoqua un arrangement financier dealé hors des tribunaux tandis que l’autre Ray (Manzarek) admettait dans le magazine Musician que le morceau « ressemblait beaucoup au titre des Kinks ». Love Street est une référence à l’appartement dans lequel vivait Jim en compagnie de Pamela Courson, dans le quartier de Laurel Canyon. Ce serait donc Pamela, cette femme décrite dans la chanson comme possédant « des robes et des singes, des acolytes paresseux couverts de diamants ».

Pochette de l'album The Doors Waiting for the sun (1969)
Not To Touch The Earth évoque l’assassinat de Kennedy à Dallas et plonge dans le cauchemar américain, influençant des artistes tels que Marilyn Manson et Queens Of The Stone Age.

L’image du singe étant associée à l’héroïne, on peut imaginer qu’en des termes poétiques, Jim évoque une maîtresse junkie et ses dealers qui viennent nuit et jour apporter la poudre blanche… Au départ, l’intégralité de la face B du vinyle devait être occupée par un titre fleuve, Celebration Of The Lizard. Il n’en restera qu’un extrait, Not To Touch The Earth, bien que l’intégralité des lyrics reptiliens aient été inclus à l’intérieur de la pochette du 33 tours. Dans ce texte d’une profonde noirceur qui évoque l’assassinat du président Kennedy en novembre 1963 à Dallas, on sombre dans le cauchemar américain sans fin. Pas étonnant que cette composition très personnelle ait été reprise par Marilyn Manson et les Queens Of The Stone Age.

La guerre du Vietnam est une nouvelle fois au centre d’une composition des Doors : The Unknown Soldier. Sorti comme premier single, c’est une chanson complexe qui passe du jazz au hard rock et se conclut par des sons de cloche et des hourras de la foule, symbolisant le retour à la paix après des années de guerre. Hélas pour les GI, dont l’âge moyen était alors de 19 ans, cette guerre meurtrière ne se conclura que des années après cette chanson militante. 

Morrison Hotel (1970)

Rewind 3, on entre dans les seventies avec Morrison Hotel, qui s’ouvre sur une chanson classique du groupe, Roadhouse Blues, inspirée par un vrai bar américain. S’agissait-il d’un bar situé sur la route de Bakersfield, comme le racontait Jim à Rolling Stone ? D’un bar situé dans la rue du studio où enregistrait le groupe, selon la version de Robby Krieger ? Ou encore du Topanga Grill, situé non loin du bungalow que Jim avait acheté pour Pamela Courson à Topanga Canyon ? Peu importe au fond, cette chanson qui s’ouvre sur les lignes « Keep your eyes on the road, your hands upon the wheel » est une métaphore de la vie qui s’emballe et qui s’achève à grande vitesse. Une prémonition pour celui qui connaitra sa fin à l’âge de 27 ans, avec en ultime destination le cimetière de Père Lachaise.

Fun Fact : G. Puglese, l’harmoniciste crédité sur ce titre, n’est autre que le chanteur folk John Sebastian, à l’époque sous contrat sur un autre label qu’Elektra, sur lequel sont signés les Doors. Les neuf mois d’enregistrement du très sophistiqué The Soft Parade ont donné au groupe l’envie de retourner aux fondamentaux du rock, et l’album s’en ressent. Le blues est présent, et malgré l’absence d’un tube aussi énorme que Light My Fire ou Hello I Love You, quelques morceaux de l’album figurent parmi les favoris des fans, dont ce Peace Frog qui fut composé en amont, avec comme texte la contraction de trois poèmes écrits par Jim, Abortion Stories, Dawn’s Highway et Newborn Awakening.

Robby Krieger a raconté la genèse de ce morceau dans son livre Set The Night On Fire : Living, Dying And Playing Guitar With The Doors : « J’avais écrit la musique, on avait répété le morceau et ça fonctionnait super bien, mais on n’avait pas de texte et Jim n’était pas avec nous. On s’est juste dit « Fuck it, on l’enregistre. Il trouvera bien un texte à poser dessus ». Et c’est ce qu’il a fait. Il a sorti son recueil de poèmes et en a trouvé un qui allait avec la musique ».

Les neuf mois d’enregistrement du très sophistiqué The Soft Parade ont donné au groupe l’envie de retourner aux fondamentaux du rock, et l’album s’en ressent.

Queen Of Highway et The Spy (originellement titré Spy In The House Of Love) évoquent la relation amoureuse de Jim avec Pamela Courson, qui fut aussi intense que mouvementée, avec une dispute durant l’enregistrement de l’album racontée en détail par l’ingénieur du son Bruce Botnick dans la bio du groupe sortie en 1980, No One Gets Out Of Here Alive. Morrison Hotel a été accueilli par le public et la critique comme le grand retour des Doors, le critique gonzo Lester Bangs étant un des rares à émettre des réserves sur l’album, louant Land Ho ! et Roadhouse Blues mais considérant le reste comme inégal.

Absolutely Love (1970)

Rewind 4, peut-être l’album le plus crucial des Doors car il résume leur carrière et leur folie scénique : Absolutely Live n’est pas la captation d’un unique concert. Contrairement aux apparences, c’est un puzzle rassemblant des dizaines de morceaux édités par le producteur Paul Rothchild, qui voulait offrir au public le concert ultime des Doors. « Je n’arrivais pas à mettre la main sur des prises intégrales de la plupart des chansons, alors parfois je passais de Detroit à Philadelphie au milieu d’un même morceau. Il doit y avoir 2.000 points de montage sur ce double album ».

Cette acrobatie en studio ne s’entend évidemment pas, et l’expérience promise est réelle : on est absolument immergé dans l’univers des Doors dès le morceau d’intro, Who Do You Love ?, 8 minutes 42 de transe rock shamanique. Si la pochette est devenue iconique, avec au premier plan un Jim Morrison en dieu rock avec cheveux mi longs et pantalon de cuir moulant avec ceinture cloutée, elle mit le chanteur en fureur car il essayait alors de se défaire de cette image messianique qui l’avait rendu célèbre et sexy. La photo à l’intérieur du double vinyle le montre tel qu’il était lors des enregistrements, barbu et avec quelques kilos supplémentaires.

Pour des raisons que l’on comprendra facilement, Elektra Records préféra l’image de Jim en sexe symbole à celle du mystique barbu et obèse qu’il était devenu. Le morceau de bravoure de ce disque épique, c’est bien sûr le quart d’heure de cette Celebration Of The Lizard, qui devait à l’origine occuper l’intégralité de la face B de l’album Waiting For The Sun. C’est la version live de ce monstre reptilien qui fait autorité, la version studio enregistrée par le groupe ayant été jugée peu satisfaisante (elle sera néanmoins incluse sur la compilation de 2003 Legacy : The Absolute Best). 

L.A. Woman (2012)

Rewind 5 et fin : L.A. Woman. Le 12 décembre 1970, les Doors jouent à la Warehouse, une salle située à la Nouvelle Orleans. Le récit de ce dernier concert avec Jim Morrison est apocalyptique : il part en vrille pendant Light My Fire, riant et balbutiant, puis frappe la scène avec son pied de micro jusqu’à en fendre le plancher. Longtemps considéré comme perdu, l’enregistrement de cet ultime show aurait été retrouvé en 2011 par un employé de la Warehouse, mais n’a à ce jour pas été rendu public.

Pochette de l'album The Doors - L.A. Woman
Le concert du 12 décembre 1970 des Doors à la Warehouse de la Nouvelle-Orléans avec Jim Morrison devient apocalyptique, marqué par des comportements erratiques de Morrison, dont la performance légendaire est encore inédite aujourd’hui malgré sa redécouverte en 2011.

Après ce fiasco, le groupe décide de se concentrer sur ce qui sera le sixième album des Doors, le dernier à sortir du vivant de Jim Morrison, mort deux mois et deux semaines après sa sortie. Paul Rothchild a quitté l’aventure, et c’est le groupe (aidé de l’ingé son Bruce Botnick) qui signe la production de ce disque dont la majeure partie a été conçue en studio, le groupe n’ayant que très peu de compositions prêtes au moment de l’enregistrement. Rothchild a claqué la porte en grande partie à cause d’une chanson, Love Her Madly, qu’il considérait comme de la « cocktail music », une régression par rapport au répertoire du groupe.

La qualité de ce disque, dont le meilleur titre est certainement Riders On The Storm, est un miracle compte tenu de la situation explosive dans laquelle se trouvait le groupe, Morrison sortant d’un procès pour obscénité, sombrant dans l’héroïne et n’étant que rarement présent pour les répétitions. L’America, qui ouvre la face B, était prévu à l’origine pour la bande-son du film de Michelangelo Antonioni Zabriskie Point, mais le réalisateur préféra Pink Floyd pour sa B.O. Plus tard repris par Billy Idol, la chanson L.A. Woman fut considérée par le journal LA Weekly comme « la meilleure chanson sur la ville de Los Angeles ».

Crawling King Snake est un blues des années 1920 dont on ne connait pas le compositeur et dont le premier enregistrement connu, signé Big Joe Williams, date de 1941. John Lee Hooker le popularisa, et la version des Doors lui donne une couleur rock inédite. Un an presque jour pour jour après la sortie du monumental Absolutely Live, Jim Morrison mourait à Paris le 3 juillet 1971, où il s’était installé en mars de la même année avec Pamela Courson au 17 rue Beautreillis, dans le Marais. Avec huit disques d’or consécutifs, 34 millions d’albums vendus aux USA et environ 100 millions à travers le monde, les Doors sont malgré leur courte carrière classés parmi les groupes de rock les plus populaires de tous les temps. La mort de Jim Morrison n’a pas marqué la fin du groupe.

Deux albums suivirent son décès, le septième album Other Voices sortant trois mois après son décès, suivi en 1972 du très anecdotique Full Circle. Un ultime projet voit le jour en 1978, An American Prayer, qui met en musique des poèmes écrits par Jim sous l’intitulé « Jim Morrison, music by The Doors ». En 2003, un procès féroce oppose durant deux ans John Densmore à ses ex-partenaires Robby Krieger et Ray Manzarek. John avait été viré du groupe et les deux autres membres engagèrent le chanteur du Cult Ian Astbury et le batteur de The Police, Stewart Copeland, pour une tournée sous le nom « The Doors of the 21st Century ».

Avec huit disques d’or consécutifs, 34 millions d’albums vendus aux USA et environ 100 millions à travers le monde, les Doors sont malgré leur courte carrière classés parmi les groupes de rock les plus populaires de tous les temps.

Ce conflit fut le sujet d’un livre écrit par Densmore, The Doors Unhinged, Jim Morrison Legacy Goes On Trial, traduit en français sous le titre The Doors Les portes claquent, l’héritage tumultueux de Jim Morrison. John gagna, et les deux autres membres du groupe se produisirent brièvement sous le nom Riders On The Storm avant de finir par tourner sous l’appellation Manzarek-Krieger jusqu’à la mort de Ray en 2013.

En 2003, Densmore refusait un deal publicitaire de 15 millions de dollars proposé par Cadillac : « C’était tentant, mais inacceptable » a commenté le batteur. Certains trouveront dérisoire cette intransigeante attitude, mais pour la majorité des fans de Morrison et du groupe, c’est ce qu’on appelle l’intégrité artistique.

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