Vangelis : Le Rewind présenté par Olivier Cachin

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Un Rewind posthume hélas puisque le producteur/créateur de sons spatiaux Vangelis est parti rejoindre les étoiles le 17 mai 2022. C’est donc un Rewind hommage que l’on vous propose, avec en témoin privilégié des premières années Boris Bergman, parolier, romancier et auteur du plus gros tube d’Aphrodite’s Child (le groupe de Vangelis), « Rain And Tears ».  

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Aphrodite’s Child End of the World (1968)

C’est donc en toute logique qu’on démarre ce premier chapitre avec l’album de 1968 End of the World, dont la création du hit qu’il contient nous est racontée par Boris en personne :

« À l’époque, Frédéric Leibowitz avait été chargé de fonder une maison d’éditions. Il croyait en moi, je lui avais montré quelques textes que j’écrivais à l’époque, et puis un jour, il me dit “Voilà, il y a un groupe qui est bloqué à Paris”. Non pas à cause de mai 68, mais surtout à cause du fait que les Anglais ne donnaient pas de visa de travail comme ça à des groupes étrangers, à l’époque, c’était comme aux États-Unis, peut-être même pire. Ils étaient donc bloqués ici à Paris. Frédéric décide de se servir du “Canon de Pachelbel” et de faire venir Vangelis Papathanassiou, qui deviendra Vangelis tout court. Le chanteur était Demis Roussos et le troisième membre était Lucas Sideras, le batteur.

Aphrodite’s Child End of the World (1968)
End of the World est le premier album studio du groupe pop rock grec Aphrodite’s Child, sorti en 1968.

Les trois sont alors coincés à Paris. Moi, ils m’avaient fait venir très tôt le matin – j’avais failli ne pas y aller, j’ai été réveillé par ma petite amie de l’époque dans ma chambre de bonne aux Champs-Élysées. Je prends le métro pour aller jusqu’à Télégraphe. En face des studios de la rue Jenner, il y avait la morgue de l’hôpital. Les gens qui pleuraient leurs chers défunts se plaignaient d’entendre “Le Petit Tambour” de Nana Mouskouri ou “Belles, Belles, Belles” de Claude François – ça n’était pas vraiment le moment. J’étais dans un cagibi grand comme les chiottes de l’hôtel Lutétia. Il y avait juste de quoi mettre le Revox pour écouter les bandes. Sachant que j’étais fainéant, Leibowitz m’avait enfermé dans le bureau après m’avoir présenté Vangelis. Je pouvais à peine ouvrir la fenêtre. Il m’a dit “Je te connais, tu vas amener l’instrumental chez toi et je n’aurai plus de nouvelles”. Il ne voulait me laisser partir que si j’ai le texte. 

Moi, j’avais tellement envie de sortir, je me sentais tellement mal au milieu de ces classeurs – il n’y avait pas d’ordinateur à l’époque , j’en aurais pleuré. Il me dit : “il faut que tu fasses très vite parce qu’on ne peut enregistrer qu’aujourd’hui et demain, ils vont détruire le studio« . Il pleuvait, tout ça n’était pas d’une franche gaieté.

Boris Bergman & Olivier Cachin dans le studio du Rewind.
Boris Bergman, parolier, romancier et auteur du plus gros tube d’Aphrodite’s Child (le groupe de Vangelis), « Rain And Tears », raconte la création du hit.

Le seul rayon de soleil, c’était que sur le même trottoir, il y avait les studios de Jean-Pierre Melville et j’ai vu arriver Belmondo, des acteurs, des scripts… enfin le cinéma, la vie. Je voulais sortir très vite, du coup, je crois que j’ai écrit mon texte en un quart d’heure, et je l’ai glissé sous la porte. Là, Frédéric m’a ouvert et on est allé bouffer.

L’après-midi, on est passé au studio Auguste Blanqui qui était en destruction. C’est-à-dire que quand Vangelis enregistrait sur son Mellotron, on était obligé d’aller demander aux ouvriers à côté d’arrêter pendant, vingt minutes. De temps à autre, on avait un mec qui entrait dans le studio, comme le croque-mort dans Lucky Luke, avec le mètre… On sentait qu’à peine nous aurions mis le pied dehors, qu’ils entreraient pour tout démolir. En plus, c’était surréaliste, car les Aphrodite’s Child n’étaient que trois. 

Je n’avais jamais vu un mec faire tout un orchestre avec son petit Mellotron. Ils enregistraient en direct, il y avait Vangelis aux synthés, Lucas à la batterie et Demis à la basse, tout ça dans le studio énorme qui était le dernier puisqu’ils l’ont détruit après nous. Ça s’est fait comme ça. Et j’étais là, j’ai même fait des petits changements de texte pendant l’enregistrement. Ensuite, il y a eu les grèves, donc les Aphrodite’s Child ne pouvaient définitivement pas aller en Angleterre quand ils ont reçu leurs visas. On a donc décidé de faire un album, et c’était End of the Century.

Pour mettre Vangelis au travail, c’était difficile. Alors, je commandais de grandes salades grecques avec de la feta et il improvisait de la musique comme ça. Avec lui, j’ai appris plein de choses. Il me donnait une musique et j’arrivais en studio. Il me disait “Ah Bolis, j’ai fait un petit changement”. À la place d’un refrain, il y en avait cinq et au lieu de huit couplets, il n’en restait que deux. Après, j’ai compris. J’arrivais avec quelques lignes, le scénario. Et en fonction de sa découpe, je faisais le texte en studio qui était ensuite essayé par les musiciens. Ça a été une école d’impro formidable. Avec Demis c’était bien parce que si je l’avais écouté, j’aurais mis “Hey” à chaque fin de phrase. Ça lui permettait de faire son Dario Moreno orthodoxe. Et c’était extraordinaire. »

quand Vangelis enregistrait sur son Mellotron, on était obligé d’aller demander aux ouvriers à côté d’arrêter pendant, vingt minutes.

Aphrodite’s Child 666 (1972)

Rewind 2, on avance de quatre ans avec 666, un album double forcément démoniaque, mais surtout expérimental : 24 compositions allant du hard rock au prog rock avec une bonne dose de psychédélisme. Boris n’est plus dans l’aventure, les textes ayant tous été écrits par Costas Ferris, qui n’y va pas par quatre chemins. Dès le premier morceau, « The System », un chœur façon Grèce antique psalmodie une diatribe antisystème inspirée d’un pamphlet signé par l’activiste Abbie Hoffman, figure de l’underground sixties Flower Power. 

Aphrodite’s Child 666 (1972)
666 est un double album du groupe rock progressif grec Aphrodite’s Child sorti en 1972. C’est leur troisième et dernier puisque le groupe s’est séparé avant même sa parution.

Les thématiques apocalyptiques se précisent avec « Babylon », qui fait directement référence à la chute de la ville mythique dans le livre des Révélations, chapitre 18 du Nouveau Testament. Rebelote avec « The Four Horsemen », les quatre cavaliers de l’Apocalypse, chapitre 6 du même livre. Ce titre, l’un des plus emblématiques de l’album, a été une influence directe pour « Chemtrails », la chanson écrite par Beck en 2008 et incluse sur son album Modern Guilt

« The Seventh Seal » ne fait pas allusion au film d’Ingmar Bergman Le Septième Sceau mais se présente comme un instrumental surplombé d’une voix narrative de John Forst qui fut samplée près de vingt ans plus tard par Enigma, le projet new age de Michael Cretu, dans le morceau « The Rivers Of Belief » : « And when the lamb opened the seventh seal, silence covered the sky ». Tout un programme. 

Boris Bergman dans le studio du Rewind
Boris Bergman dévoile de nombreuses anecdotes sur le processus de création de l’album 666.

Plus funky, « The Beast » est chanté par Loukas Sideras, qui pour l’occasion transforme sa voix qui se dédouble, comme s’il se répondait à lui-même. Détail amusant : Les commentaires de Vangelis sont inclus dans le mix, et on peut entendre le magicien des synthés dire en Grec : « Vas-y ! » et « Là on termine le titre, tu te souviens ? ». L’emblématique chanson du disque est sûrement « ∞ », le symbole de l’infini, sur laquelle on entend la voix (et les râles) d’Irène Papas, la plus fameuse des actrices/chanteuses de Grèce. « J’étais, je suis, je serai » balance-t-elle sur fond de percussions, avec un orgasme final qui rappellera aux auditeurs Jane Birkin dans « Je T’aime Moi Non Plus » et que l’on retrouvera trois ans plus tard sur le fameux « Love To Love You Baby » de Donna Summer produit par Giorgio Moroder, un autre sorcier des synthés. La respiration orgasmique d’Irène sera d’ailleurs samplée sur « Principles Of Lust » par… Michael Cretu, encore lui, pour son projet Enigma. 

Le dernier mot du disque, en fin de face 4 après le titre « Break » et six secondes de silence : John Forst disant « Do it ! ». Bref, un disque ouvertement avant-gardiste, à redécouvrir.

La Fête Sauvage B.O. (1976)

Rewind 3, plus classique celui-là : La musique illustrant une série de documentaires animaliers réalisée pour la télévision française par Frédéric Rossif, L’Apocalypse Des Animaux. Le disque voit le jour en 1973, deux ans après la première diffusion à la télé française. Sur des textes de François Billetdoux lus par Pierre Vaneck, les six épisodes de cette série évoquent des thématiques animales (« De l’Abeille au Gorille », « Les Animaux et les Hommes », « Une Mémoire d’Éléphant », « Traquer le Chasseur », « La Peur du Loup », « L’Enfant et la Mer ») et les musiques de Vangelis vont de l’instrumental paisible à des plages plus jazz, l’album 33 tours édité en 1973 rassemblant les moments les plus mémorables de cette bande-son élégiaque. 

La Fête Sauvage B.O. (1976)
La fête sauvage est la première bande originale créée par Vangelis.

La collaboration entre Vangelis et Frédéric Rossif se poursuivra jusqu’à la fin des années 1980, notamment avec La Fête Sauvage en 1976 (sorti dans les salles de cinéma), L’Opéra Sauvage (18 épisodes de 50 minutes diffusés à partir de 1976 sur Antenne 2) et De Nuremberg à Nuremberg, documentaire historique sur l’ascension du régime nazi et sa chute, jusqu’au procès de Nuremberg. Une ambiance instrumentale plus sombre, où les machines de Vangelis sont au service d’une vision sans concession des heures les plus sombres de notre histoire.

Jon And Vangelis The Friends Of Mr. Cairo (1981)

Rewind 4, et cette fois c’est d’un ovni dont il s’agit. The Friends Of Mr. Cairo est un disque collaboratif dans lequel le Grec synthétique s’allie à Jon Anderson, chanteur du groupe Yes qu’il cofonda en 1968. Deuxième album en commun dans une série de cinq qui s’étale entre 1980 et 1998, ce LP connut deux éditions, la seconde ajoutant « I’ll Find My Way Home », qui avait pour mission de relancer les ventes défaillantes de la première édition. Mission accomplie, puisque cette chanson pop facile d’accès fut reprise par de multiples artistes parmi lesquels Demis Roussos, le groupe teuton néo religieux Gregorian et le combo électronique allemand Project Pitchfork. 

Jon And Vangelis The Friends Of Mr. Cairo (1981)
The Friends Of Mr. Cairo est un disque collaboratif dans lequel le Grec synthétique s’allie à Jon Anderson, chanteur du groupe Yes qu’il cofonda en 1968.

Le joyau de ce disque est évidemment « State Of Independence », 7’53 agrémentée du saxophone langoureux de Dick Morrissey et de la voix céleste de Jon Anderson, soutenue par les chœurs de Carol Kenyon. Si le titre ne fut pas un succès lors de sa sortie single, il eut une longue histoire : En 1982, il fut repris par Donna Summer sur une production luxueuse signée Quincy Jones, avec aux backing vocals une impressionnante liste de stars invitées par « Q » – Michael Jackson, Lionel Richie, Diana Ross, Stevie Wonder, Dionne Warwick, James Ingram, Patti Austin, Kenny Loggins et on en oublie. Pour la petite histoire, cette version est un des morceaux favoris de Brian Eno. En 1992, c’est Chrissie Hynde, la chanteuse des Pretenders, qui l’interprète avec le groupe Moodswings. Enfin, Jon Anderson en fit une nouvelle version en 1994 sur son album solo Change We Must.

il est sorti presque simultanément avec un de ses plus grands succès cinématographiques, Les Chariots De Feu, qui lui vaudra un Oscar à Hollywood.

Le morceau qui donne son titre à l’album est un hommage à l’Hollywood des années 1930/40, l’âge d’or du cinéma américain, et incorpore des références au Faucon Maltais (avec Humphrey Bogart, réalisé par John Huston en 1941), le nom « Mister Cairo » étant celui du personnage joué dans le film par Peter Lorre. On y entend des bruitages tirés du film (crissements de pneu, klaxons) et des dialogues de Bogey et Mary Astor rejoués par David Coker et Sally Grace. La scénarisation de ce titre et de quelques autres morceaux comme « The Mayflower », évocation des pèlerins WASP venus en Amérique, fait de ce disque un bon exemple du travail de Vangelis en dehors des B.O., et on notera qu’il est sorti presque simultanément avec un de ses plus grands succès cinématographiques, Les Chariots De Feu, qui lui vaudra un Oscar à Hollywood. 

Blade Runner B.O. (1982)

Rewind 5, du très, très lourd puisqu’on parle de la B.O. la plus emblématique de Vangelis, celle d’un film qui fit couler beaucoup d’encre en son temps, Blade Runner de Ridley Scott. Et pour étayer cette affirmation (l’encre qui coule), on ne résiste pas au plaisir de citer un bref extrait de l’article écrit par Philippe Manœuvre en septembre 1982 dans le numéro 79 du magazine Métal Hurlant, dont la couverture annonce la couleur (« Blade Runner : C’est Philip K. Dick qu’on assassine ! »).

Philman n’a guère apprécié de voir porté à l’écran Do Androids Dream Of Electric Sheeps ?, le roman phare de son auteur favori, Philip K. Dick, et tient à le faire savoir avec fougue :

« Saisit-on assez bien l’hérésie vulgaire, la connerie grasse, la morphologie infamante du foutu projet ? Il nous faudrait une encre au vitriol pour crever les yeux de ce Ridley Scott, lui faire boire de l’eau de Javel et ensuite et enfin emmener ce ringard total vers un studio télé où il pourrait, en toute quiétude, se remettre à produire des publicités pour les bas Dunylon ou les parfums Dunabot. Car au niveau du clinquant et de l’artificiel, du superflu, des petites lumières clignotantes enculant les gros brouillards rouges verts et bleus, c’est le champion, Scott ! » 

Blade Runner B.O. (1982)

On l’aura compris, Manœuvre n’est pas fan. Et le Scott bashing se poursuit sur sept pages, mais curieusement, le fougueux journaliste ne dit pas un mot sur l’ambiance musicale émanant de ce film cyberpunk et néo noir devenu depuis référence de la science-fiction sur grand écran, et qui fut la première adaptation d’un livre de Dick. Suivirent Total Recall de Paul Verhoeven en 1990, Minority Report de Steven Spielberg en 2002, Paycheck de John Woo en 2003, A Scanner Darkly de Richard Linklater en 2006 et bien sûr Blade Runner 2049 de Dennis Villeneuve en 2017. 

Mais pour revenir à la B.O., c’est certainement l’une des œuvres les plus abouties et originales de son auteur, avec une base électronique et des références constantes au jazz des polars hollywoodiens ajoutées à des textures orientales, créant une bande-son unique qui fut nominée aux BAFTA et aux Golden Globes, mais n’obtint pas de prix. C’est à Londres, dans son studio baptisé Nemo, que le maitre des synthés finalisa le score en 1982 après avoir visionné les vidéos de plusieurs scènes du film sur lesquelles il improvisa quelques thèmes. Si le score est majoritairement instrumental et synthétique, on peut néanmoins y entendre quelques voix interprétées par le vieux complice Demis (Roussos) ainsi que le saxophone de Dick Morrissey sur le « Love Theme ». « Memories Of Green », un morceau composé par Vangelis en 1980 et inclus sur son album See You Later, fut également utilisé pour le soundtrack. 

Une nouvelle version de la B.O. sortit en 1994, avec des sons inédits. Vangelis la commenta en ces termes : « Une grande partie de cet album vient des enregistrements que j’ai réalisé à Londres en 1982 quand je travaillais sur le score de Blade Runner. N’étant pas en mesure de les sortir à l’époque, c’est avec grand plaisir que je le fais aujourd’hui. Certains titres vous seront familiers car ils viennent du soundtrack original, d’autres apparaissent ici pour la première fois. Revoir les images puissantes et évocatrices de de Ridley Scott m’a stimulé comme à l’époque, et j’ai pris grand plaisir à compiler à nouveau cette musique ».

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