Le Rewind : Serge Gainsbourg présenté par Olivier Cachin

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Mis à jour le 10 décembre 2021

Résumer la carrière phénoménale de Serge Gainsbourg en 5 albums ? Une gageure, mais le Rewind ne recule décidément devant rien ! Top 5, c’est parti.

Avec pour démarrer « Initiales B. B. », ode à Brigitte Bardot dont la musique est pompée (avec classe bien sûr) sur « La Symphonie Du Nouveau Monde » de Dvorak, et dont l’intro s’inspire du « Corbeau » d’Edgar Allan Poe et des « Fleurs Du Mal » de Beaudelaire. Depuis 1964 et le sixième album « Gainsbourg Percussions », Serge a cessé sa collaboration avec Alain Goraguer. Ce qui l’intéresse désormais, c’est le style pop british (on est encore en pleine Beatlemania) et ce sont des rosbifs comme David Whitaker et Arthur Greenslade qui se chargent des arrangements, avec des requins de studio non crédités sur la pochette originale et dont on connaitra l’identité des années plus tard, parmi lesquels le bassiste Dave Richmond, le guitariste Victor Briggs et le batteur Dougie Wright. Dans « Bonnie & Clyde », le duo avec Bardot, le chanteur s’inspire du film sur les deux fameux gangsters magnifiés l’année précédente dans le film éponyme d’Arthur Penn pour un résultat flamboyant, qui sera samplé 26 ans plus tard par MC Solaar dans son « Western Moderne ». C’est Michel Colombier qui arrange ce superbe titre, traduction quasi littérale d’un poème de Bonnie Parker, morte à 23 ans avec son complice Clyde Barrow. 

Dans la chanson qui donne son titre à l’album, Gainsbourg cite la ville d’Almeria en Andalousie, lieu où Brigitte Bardot tourna le film « Shalako » avec Sean Connery et où fut officialisée la rupture entre le chanteur et sa muse après une liaison dont il ne se remit jamais vraiment complètement : « Ça m’a balafré, c’était hyper speedé et assez court, dans les trois mois pas plus. Ça ne pouvait pas redescendre, ça a cassé. C’était un fil d’acier qui s’est brisé. Brisure nette. Cette fille-là m’a marqué au fer rouge. Rien à ajouter », déclarait-il en 1968, peu après la sortie du disque. « Initiales B.B. » fut notamment repris en 2001 par le rappeur français Ménélik et en 2011 par Iggy Pop sur l’album de Lulu, le fils de Serge, titré « From Gainsbourg To Lulu ». 

Claude Dejacques, producteur et directeur artistique chez Philips cité par le blog mistergainsbarre.com, raconte le dilettantisme habituel de Serge, artiste inspiré qui n’aime rien tant que de travailler dans l’urgence : « Nous sommes partis à Londres enregistrer “Initiales B.B”, pour lequel Gainsbourg n’avait absolument rien préparé, comme d’habitude, hormis la chanson principale. Mais il travaillait déjà selon une méthode infaillible : Pour chaque chanson, il démarre avec un titre, parce qu’il a compris depuis longtemps que le titre doit être la phrase principale du refrain et le thème de la chanson. Pour qu’il ait le temps d’écrire, au lieu de prendre l’avion nous avons pris le train et le ferry-boat : Au moment d’embarquer gare du Nord il s’est tapé deux bourbons, il a écrit pendant tout le trajet les paroles de trois chansons et le lendemain, il était prêt ». « Qui Est “In”, Qui Est ”Out” » sortira en single et connaitra un certain succès sur les radios françaises, pour le plus grand plaisir de son auteur, qui rêve désormais d’être (aussi) reconnu comme un interprète et non juste comme un auteur. 

« Histoire De Melody Nelson », en 1971, est un véritable concept album, l’histoire en puzzle d’une jeune garçonne de 15 ans dont le Boeing 747 s’écrase, illustrée à l’image par le visionnaire de la vidéo Jean-Christophe Averty. Mais des problèmes de droits d’auteur liés à des œuvres de Salvador Dali et Max Ernst présentes sur les images rendent le film invisible. Le dernier titre de ce disque bref (moins de trente minutes) est « Cargo Culte », qui reprend le titre d’une séquence du film « Mondo Cane » dans lequel on découvre l’étrange rituel d’une tribu aborigène qui, voyant passer les avions cargo au-dessus de leur territoire, croit qu’il s’agit de leurs dieux ancestraux détournés de leur objectif par les hommes blancs, et qui ont construit une piste d’atterrissage factice pour qu’ils reviennent sur leur territoire, le tout sur une bouleversante musique de Riz Ortolani. 

Cuisant échec commercial à sa sortie en mars 1971, le disque acquiert au fil des ans un statut de chef-d’œuvre, et s’impose comme l’ultime référence gainsbourienne, notamment pour les Anglo-saxons qui lui vouent un culte. Le disque est réalisé en binôme avec Jean-Claude Vannier, qui a écrit les cordes et co-composé plusieurs titres. Il se souvient de cette jolie punchline : « Serge me disait : “À nous deux on est Cole Porter, les paroles et la musique, je suis Cole et tu es Porter” ». Le style parlé annonce la suite de la carrière de Serge, qui s’éloigne du chant pour cette narration poétique, à une époque de sa vie où il est marqué par les sonnets de José-Maria De Heredia. Les numérologues ont remarqué l’omniprésence du chiffre 7 dans ce disque : 7 chansons, durée totale 27 minutes 57, le Boeing 707, le premier et dernier morceau d’une durée de 7 minutes, etc. Vannier croit se souvenir de la participation à l’album du bassiste Herbie Flowers (qui joua notamment sur « Walk On The Wild Side » de Lou Reed), mais l’incertitude plane sur les musiciens du disque, non crédités sur la pochette. 

1975, Rewind vers un album d’une provocation totale, « Rock Around The Bunker ». L’enfant qui porta l’étoile jaune durant l’occupation nazie ose un LP brillant et cynique qui s’ouvre sur le troublant « Nazi Rock », évocation de la nuit des longs couteaux dont les premières paroles frappent l’imagination : « Enfilez vos bas noirs, les gars/ Ajustez bien vos accroche-bas/ Vos porte-jarretelles et vos corsets/ Allez, venez, ça va s’corser/ On va danser le nazi rock, nazi, nazi nazi rock, nazi »

Maitre de l’allitération, Gainsbarre fait encore plus fort dans le terrible « Est-Ce Si Bon ? » (Qu’on peut aussi comprendre comme « SS Si Bon ? ») avec ce premier couplet insensé : « Sont-ce qu’insensés assassins ?/ Est-ce ainsi qu’assassins s’associent ?/ Si, c’est depuis l’Anschluss que sucent/ Ces sangsues le Juif Suss ». Ce second concept album, quatre ans après « Melody Nelson », se conclut avec le très solaire « SS In Uruguay », qui ironise avec un accent latino comique sur l’exil tropical des nazis allemands partis sans laisser d’adresse en Amérique du Sud, laissant derrière eux leur sanglant passé (« Il y a des couillonn’/ Qui parlent d’extraditionn’/ Mais pour moi pas questionn’/ De payer l’additionn’ »). Repris en 2008 par Julien Doré, ce morceau est la parfaite conclusion d’un disque au son anglais, avec les claviers d’Alan Hawkshaw et les guitares de Judd Proctor et Alan Parker. 

1979, Gainsbourg part en trip à la Jamaïque, d’où il ramène le brillant « Aux Armes Etc. », enregistré avec le duo rythmique Sly & Robbie, les I-Threes (choristes de Bob Marley) et les meilleurs requins de l’île, dont l’organiste Ansel Collins et le guitariste Mickey « Mao » Chung. Du scato (« Eau Et Gaz À Tous Les Étages »), du sacré (« Aux Armes Etc », adaptation très libre de « La Marseillaise » qui lui vaudra les foudres des parachutistes français), du flashback (« Javanaise Remake », adaptation reggae du duo de 1963 qu’il interpréta aux côtés de Juliette Gréco), et l’éternel retour de sa muse Marilou (« Marilou Reggae Dub »). Conspué par Michel Droit dans un édito du Figaro aux forts relents antisémites, Serge répondra de façon définitive avec la formule assassine « On n’a pas le con d’être aussi Droit ». Meilleure anecdote entourant l’enregistrement de ce disque majeur : Un des musiciens avoue à Serge qu’il ne connait rien de la chanson française, à part « Je T’Aime Moi Non Plus ». Serge lui répond alors « It’s me ». Enregistré à la Jamaïcaine, dans l’urgence en quelques jours, l’album sera un succès et permettra à son auteur de faire une série de concerts français avec « ses Jamaïcains », comme il aimait les appeler. 

Et pour finir ce Rewind en 5 albums, le dernier est un hommage original : « Monsieur Gainsbourg Revisited » est un projet initié par l’équipe du magazine Les Inrockuptibles qui propose des versions anglaises d’une quinzaine de titres du maître. C’est Boris Bergman, avec l’aide de Paul Ives, qui a écrit les adaptations, dont « Just A Man With A Job » des Rakes (« Le Poinçonneur Des Lilas ») et « I Love You (Me Either) » de Cat Power et Karen Elson (« Je T’Aime, Moi Non Plus »). 

« The Lollies », adaptation des fameuses « Sucettes » sussurée par France Gall dans les sixties par Keith Flint, le chanteur du groupe techno The Prodigy, est finalement exclue de la programmation finale suite au refus des ayant-droits. Elle sera finalement réintégrée dans la version digitale des années plus tard, après la mort de Keith, qui s’est suicidé le 4 mars 2019. La sublime photo de couverture, Serge et Jane en costumes argentés façon cosmonautes, est un autre élément qui fait de ce disque un incontournable pour les fans du grand Serge et des artistes qui se glissent dans sa peau le temps d’une chanson, de Tricky à Jarvis Cocker en passant par Marianne Faithfull et Michael Stipe. Pas dégueu. 

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