À l’image de Feeling Good, titre issu d’une comédie musicale de Broadway, ou de Killing Me Softly, chanson de Lori Lieberman, certains morceaux sont si populaires que leurs origines se dissipent comme le son dans l’air. Les premiers enregistrements confirment que les chansons se sont transmises au fil des générations et que ces dernières ont évolué en fonction de la culture et de l’époque. On pense aux premiers morceaux jazz enregistrés qui sont en fait des “reprises” de chants d’esclave… Et les nombreux exemples qui ont suivi prouvent que l’on peut légitimement se demander s’il s’agit uniquement d’un phénomène moderne.
Aux débuts de l’industrie musicale, il était courant d’enregistrer et de publier plusieurs versions d’une chanson par différents artistes en même temps. Cependant, les tendances en matière d’achat de disques ont commencé à changer après la seconde guerre mondiale. Les adolescents ont été le catalyseur, achetant des disques en fonction de l’artiste et non de la chanson elle-même.

Modification du concept
De nombreuses chansons à succès des premiers interprètes de rock’n’roll ont donné lieu à des reprises comme celle de Tutti Frutti de Little Richard par Pat Boone (puis Elvis). En conséquence, les reprises ont perdu une partie de leur valeur pour les adolescents, qui soutenaient les chansons et les artistes originaux grâce à leur pouvoir d’achat accru dans les années 1950. Un vent de nouveauté soufflait alors et les nouvelles technologies développées ont commencé à servir la diffusion de la musique : Video killed the radio star…
Malgré l’évolution des tendances, les reprises ont constitué une part considérable des enregistrements de la plupart des artistes dans les années 1950 et 1960. Les reprises de standards et de chansons populaires plus anciennes remplissent de nombreux albums au cours de cette période afin de montrer la polyvalence des artistes. Même le premier album des Beatles, Please Please Me, comprend huit chansons originales écrites par John Lennon et Paul McCartney mais également six reprises.
Reprises connues
Les reprises restent un élément essentiel du catalogue de la plupart des artistes. Parfois, ces réinterprétations sont plus connues ou ont davantage de succès que la version originale. Citons par exemple la reprise par Santana en 1970 du single de Fleetwood Mac de 1968 « Black Magic Woman », la version de Gary Jules en 2003 de « Mad World » de Tears for Fears, la version posthume de Janis Joplin en 1971 de « Me and Bobby McGee » de Kris Kristofferson. Les années 1990 ont vu la sortie de la reprise par Lenny Kravitz, en 1999, du single des Guess Who de 1970 « American Woman » et la version live par Nirvana de « The Man Who Sold the World » de David Bowie, l’une des trois reprises figurant sur leur album live classique de 1994, MTV Unplugged in New York.

De la reprise au remix
Depuis l’avènement du sample, réalisé par les premiers DJ sur platines vinyles, les “reprises” sont devenues petit à petit des “remixes”, des “bouts” ou “samples” remontés entre eux avec un beat posé par-dessus. Souvent le remix se distingue de la reprise par un tempo différent, une structure modifiée ou la suppression de certaines paroles. Le remixe transforme l’original en un nouveau morceau dont la paternité est sans aucun doute reconnaissable, tout autant que sa transformation. Même si on pratique encore aujourd’hui le sampling, celui-ci a bien évolué avec la démocratisation des machines numériques performantes à bas prix comme les contrôleurs DJ et autres séquenceurs/samplers qui ont contribué à faire évoluer la reprise vers le remix.

Le remix au XXIe siècle
La musique est une parfaite représentation de la culture humaine et de comment elle se diffuse par le partage. L’ère de l’information fait que toute vidéo ou musique enregistrée et diffusée peut être sujet à reprise ou remix. À l’image de l’artiste Kutiman qui représente l’exemple parfait du musicien 2.0 du XXIe siècle : il propose des musiques originales construites à partir d’une multitude de vidéos de particuliers coupées et remontées. Il va même plus loin en vous proposant de faire vous-même vos montages à partir de samples vidéo pré-montés.
Reprise, remix, original – la subjectivité primera toujours
Alors qui n’est pas tombé sous le charme d’une chanson qui en fait n’était pas composée par l’auteur ? Qui n’a pas apprécié les reprises, parfois hilarantes, de Richard Cheese ? Enfin qui peut se vanter de n’apprécier que les originaux dans un monde où la version originale a déjà été remixée plusieurs dizaines de fois et dont les remixes ont fait plus de ventes et plus de vues sur les réseaux ?
Qu’en pensez-vous ?
Il est facile de trouver sur Internet des listes de musiques dont les remixes ou les reprises ont surpassé l’original, que ce soit en termes de vues ou de ventes. Que les “remixeurs” aient vu dans une chanson objectivement pas terrible un moneymaker, une harmonie ou un gimmick à reprendre pour en faire quelque chose de bien meilleur (ou pas), ne sont-ils pas tout aussi créatifs et méritants ? Pensez-vous qu’ils soient dignes de leur succès le cas échéant ? Ou, au contraire, pensez-vous qu’il s’agit ni plus ni moins d’un plagiat et que toutes les royalties devraient revenir à l’auteur original ?

On imagine tout de suite les puristes arriver en courant, une hache à la main dire : “l’original ou rien !”. Mais qui a crié au loup en écoutant l’album de Nina Simone qui reprend Ellington ou Billie Holiday ? Ce qui est sûr c’est que les reprises existent depuis bien longtemps et comme disait Run DMC, It’s like that and that’s the way it is.