Le Rewind : Bob Marley

0
608
Mis à jour le 3 juillet 2023

Le reggae a un nom, et c’est celui de Bob Marley. Sans lui, la musique de cette ile microscopique qu’est la Jamaïque ne serait pas devenue l’une des plus importantes de la planète pop. Alors, on revient dans le Rewind sur cinq albums qui ont marqué sa carrière. Et on commence avec Soul Revolution Part II, produit par le génie Lee « Scratch » Perry.

YouTube player

Soul Revolution Part II (1971)

Depuis le single de Toots & The Maytals « Do The Reggay » sorti à la fin des sixties, le tempo de la musique jamaïcaine a ralenti, le rocksteady a succédé au ska. Lee Perry est aux manettes sur cet album dont la version originale compte douze titres qui permettent de mesurer l’étendue du talent de Lee « Scratch » Perry comme producteur et de Bob Marley comme auteur/interprète. La pochette est comique : armés de mitraillettes en plastique, Lee, Peter, Bunny et Bob jouent aux gangsters pour rire dans les jardins de Kingston. La musique, elle, est sérieuse. 

L’alchimie entre Lee et Bob est complexe, et a donné lieu à de multiples disputes quant à la paternité de chansons comme « Duppy Conqueror » ou « Put It On ».

Perry : « Je disais à Bob que je voulais qu’il écrive un morceau où il dirait “Yes me friend/ We on the street again”. Ça lui donnait l’idée d’une troisième phrase, j’en sortais une quatrième et les idées bouillonnaient comme ça, jusqu’à ce qu’il en sorte “Duppy Conqueror” ».

Album Soul Revolution Part II de Bob Marley
Sur Soul Revolution II, les compositions sont solides, le beat aussi.

Glen Adams, l’organiste des Upsetters, confirme que le duo travaillait en étroite collaboration pour écrire des textes, s’enfermant pendant des heures pour travailler sur les morceaux. « On ne les interrompait jamais, ils avaient besoin d’une concentration totale ». Selon Max Romeo, autre légende du reggae qui enregistra avec Perry l’album classique War Ina Babylon, Perry était un des rares producteurs de l’époque à gérer le son, là où les autres s’occupaient surtout de l’aspect financier :

Pour enregistrer, Lee avait quatre pistes sur sa console et quatre pistes dans sa tête, ça faisait huit pistes en tout ! Lee était un génie, il me manque trop. Les autres producteurs de l’époque étaient des gens malhonnêtes, ils volaient les musiciens et ne faisaient rien ! Quand une session commençait en studio, les gars étaient au motel avec des filles. Ils venaient à la fin de la session pour dire “OK, on a fait dix morceaux, il y en a trois qui sont valables et qu’on va sortir”. Lee Perry, lui, n’était pas comme ça. Il était ingé son, co-auteur, il faisait tout. C’était le producteur parfait, là où Clément “Coxsone” Dodd laissait les musiciens inventer les riddims et les artistes faire les mélodies avant d’écrire son nom sur les pochettes. Coxsone était connu pour ça, il n’était pas capable d’écrire une seule fichue note de musique !

Sur Soul Revolution II, les compositions sont solides, le beat aussi. « Riding High » est composé et chanté par Bunny Wailer, qui est également la voix lead de « Brain Washing ». « African Herbsman », qui sera repris 22 ans plus tard par Ziggy Marley, est l’adaptation d’« Indian Rope Man », un titre de Richie Havens. Les Upsetters fournissent un son roots, toujours aussi économe de moyens, mais d’une texture néanmoins riche, Lee Perry sachant comment faire claquer les rythmiques et placer les voix en harmonie, avec ses 4 pistes sur console et ses 4 pistes « mentales », comme disait Max Romeo. 

La sélection Musique & Cinéma

Catch A Fire (1973)

Rewind 2, on est désormais en 1973. L’album Catch A Fire va s’avérer être un tremblement de terre dans le petit monde du rock. En effet, c’est avec ce disque crucial que Bob introduit le reggae dans la sono mondiale. Un reggae « psychédélisé » par Chris Blackwell – le boss du label Island Records sur lequel Bob a signé – qui l’a adapté aux oreilles occidentales grâce à un mix où il met en avant des sons de guitare et d’orgue teintés de rock. John « Rabbit » Bundrick, clavier américain qui joua notamment avec les Who Free, Eric Burdon et Roger Waters ajoute cette note US psyché sur les neuf chansons de l’album. La tournée Catch A Fire est la première démonstration scénique de la nouvelle cohésion des Wailers, un groupe transformé en machine de guerre. 

Album Catch A Fire de Bob Marley
L’album Catch A Fire va s’avérer être un tremblement de terre dans le petit monde du rock.

Le charisme de Bob irradie le public, et les musiciens sont parmi les meilleurs de la Jamaïque : la rythmique des frères Ashton et Carlton Barrett, ex Hippie Boys passés chez les Upsetters de Lee Perry, la guitare de Peter Tosh, les bongos de Bunny Wailer et, pour la tournée, les claviers d’Earl « Wire » Lindo, qui hérite alors du surnom de « sixième Wailer ». Le groupe débarque en Angleterre fin avril 1973. Il fait froid dans la perfide Albion, et les Jamaïcains vivent mal cet exil glacial. Les salles sont petites, principalement des clubs et des cinémas réaménagés. Bunny, rasta tendance stricte, ne se nourrit quasiment pas, ce qui n’arrange rien à son état de santé précaire. 

En trois semaines, les Wailers atteignent une efficacité qui leur permet de faire sensation à Londres pour les trois concerts au club Speakeasy, où Chris Blackwell a convié tous les journalistes afin de leur présenter ses nouveaux poulains. Ils tournent un live assassin pour l’émission de la BBC Old Grey Whistle Test. On y voit un Bob passionné, avec ses dreadlocks encore courts, vêtu d’un pantalon de cuir noir, entouré de Bunny aux percussions et de Peter à la guitare rythmique. Tosh, avec son bonnet enfoncé jusqu’aux yeux, est carrément menaçant, tranchant comme le « Stepping Razor » qu’il est devenu, un terme qui donnera son titre à une de ses chansons solos les plus emblématiques. 

La sélection tourne-disques : vintage finition bois

Une seconde version de l’album sort en mars 2001 sous forme de double CD et révèle sur le second la version « jamaïcaine » de l’album : Les compositions sont les mêmes, mais le mix est différent, les overdubs américains ont disparu et les puristes peuvent ainsi apprécier l’album dans son intégrité originelle. Non pas que cette version soit meilleure que celle sortie par Island en 1974, non. Certes, « Stir It Up » ou « Kinky Reggae » sonnent plus roots et les Wailers ont une technique irréprochable, mais le disque aurait-il connu le succès sans les arrangements imposés par Chris Blackwell ? On ne le saura jamais, mais Catch A Fire reste le premier disque de Bob et des Wailers à franchir les frontières de l’île et à répandre le gospel reggae à Babylone.

Exodus (1977)

Rewind 3, Exodus, enregistré en Angleterre suite à un exil temporaire de Bob. En 1976, Marley a retrouvé Lee Perry, et les deux amis en profitent pour écrire « Smile Jamaica », un morceau appelant à la paix lors de cette année d’élections particulièrement sanglante qui verra la victoire du socialiste Michael Manley face au conservateur et ex-producteur de calypso Edward Seaga, son ennemi historique. Le concert gratuit Smile Jamaica du 5 décembre doit rassembler, en plus de Bob, des artistes reggae comme Burning Spear et Third World. Chris Blackwell, effrayé par la tournure violente que risque de prendre l’événement, conseille à Bob d’annuler sa venue. Mais Bob finit par décider d’y participer malgré les risques évidents qu’il encoure.

Album Exodus de Bob Marley
Exodus est enregistré en Angleterre suite à un exil temporaire de Bob Marley.

Après l’annonce du concert, le Premier Ministre Michael Manley déclare la tenue d’élections anticipées, transformant de facto le show en un concert de propagande politique. Deux jours avant le show, six assassins blessent Bob, Rita et le manager Don Taylor. Alors que l’annulation semble inévitable, Bob se rend malgré tout au concert, où l’attendent 80.000 spectateurs en délire. Parti pour chanter un seul morceau, Bob finit par donner un concert complet, accompagné notamment par « Cat » Coore le guitariste de Third World, Tyrone Downie aux claviers et le batteur Carlton Barrett.

Bob entame « War », puis enchaine une douzaine de titres dans une ambiance d’apocalypse, aux côtés de sa femme Rita vêtue d’une blouse d’hôpital avec une robe de chambre. Dans l’assistance, de nombreux gunmen bien connus des services de police sont présents, peut-être même ceux qui ont tiré sur Bob. Alors que le concert se termine, Bob soulève sa chemise et exhibe ses blessures au public, qui exulte. « La foule a hurlé. Les Jamaïcains adorent quand on échappe à un assassinat », expliquait alors son avocate Diane Jobson. Bob quitte la Jamaïque juste après le concert et passe du temps en Europe, d’abord à Londres.

Bob Marley en concert
Cible de nombreux gunmen, Bob Marley a choisi de partir à Londres pendant un moment.

En 1977, Lee Perry y est également. Il y a produit le single des Clash « Complete Control » et se reconnecte avec Bob Marley, ce dernier répétant à qui veut l’entendre que « Lee Perry est un génie », une évidence confirmée non seulement par Soul Revolution Part II mais aussi par ses albums de dub comme le monumental Super Ape ou par le single magique de Junior Murvin « Police And Thieves », qui sera d’ailleurs reprise par The Clash sur leur premier album dans une version accélérée, officialisant l’union sacrée entre punk et reggae. 

La vague punk battant son plein en Angleterre, Bob et Lee unissent leurs forces pour le single « Punky Reggae Party », dont le refrain « New wave, new craze » est appuyé par le name dropping des groupes majeurs du mouvement : « The Wailers will be there, The Damned, The Jam, The Clash (…) Dr. Feelgood too/ No boring old farts will be there !/Well it’s a punky reggae party, and it’s tonight » (Les Wailers seront là, The Damned, The Jam, The Clash, Dr. Feelgood aussi, pas de vieilles badernes au programme ! C’est une teuf punky reggae, et c’est ce soir).

La session londonienne Marley/Perry sera l’occasion d’enregistrer une nouvelle version de « Keep On Moving », le titre de Curtis Mayfield dont une première version fut gravée en 1970 avec Lee Perry et incluse sur Soul Revolution Part II. Ces deux chansons qui n’étaient pas sur la première édition d’Exodus ont été ajoutées sur les versions CD ultérieures. La tournée Exodus de 1977 fit la part belle à l’Europe avec un passage à Paris le 10 mai au Pavillon de la Porte de Pantin, aujourd’hui remplacé par le Zénith. Bob Marley y repassera l’année suivante pour la tournée Kaya. Avec des titres comme « Jamming », « Natural Mystic » ou encore « Waiting In Vain », Exodus s’impose comme une borne importante dans la trop courte discographie de Bob, qui en vingt ans de carrière sortit une douzaine d’albums ayant marqué l’histoire du reggae jamaïcain et de la pop mondiale. 

Bob Marley avec les frères Ashton et Carlton Barrett
Les frères Ashton et Carlton Barrett brillent encore une fois sur l’album Exodus.

Kaya (1978)

Rewind 4, et c’est dans un épais nuage de fumée que sera conçu Kaya, un terme argotique de la Jamaïque désignant la marijuana. Une cinquantaine de concerts seront donnés pour soutenir cet album qui lors de sa sortie fut considéré par beaucoup comme trop léger et moins politique que ses prédécesseurs. Il est vrai que sur ce dixième album studio, on parle beaucoup d’amour et de marijuana et les thèmes révolutionnaires sont aux abonnés absents. On trouve quand même sur ce disque hédoniste un des plus gros classiques de Bob, « Is This Love », porté par une rythmique sautillante et une mélodie irrésistible, ainsi que des nouvelles versions de « Sun Is Shining » et « Kaya », chansons incluses dans Soul Revolution II

Kaya de Bob Marley
Le titre de l’album Kaya fait référence à la marijuana jamaïcaine popularisée par le Reggae.

En 1996, pour le quinzième anniversaire de sa mort, le prestigieux New York Times écrivait : « En 2096, quand l’ancien tiers-monde occupera et colonisera les anciennes superpuissances, Bob Marley sera commémoré comme un Saint ». Une prophétie que Bob aurait sûrement jugée blasphématoire, mais qui est à la hauteur de son génie, perceptible sur ses œuvres les plus révolutionnaires mais aussi sur ses disques plus légers, dont fait partie Kaya

Marley B.O. (2012)

Cinquième et ultime Rewind, la B.O. sortie en 2012 du film documentaire Marley, une compilation de ses morceaux emblématiques, depuis le tout premier, « Judge Not », jusqu’à l’ultime enregistrement de sa trop courte vie, l’album Uprising dont le fameux « Redemption Song », son testament qui sera repris par Joe Strummer des Clash, Stevie Wonder, Bono/U2, John Legend, Manfred Mann’s Earth Band et Wyclef Jean des Fugees. 

Album Marley B.O. de Bob Marley
Marley B.O. est une compilation des meilleurs titres de l’artiste.

L’histoire de la genèse du titre « Judge Not » relève de la légende : Seul dans le studio, sans musiciens, Bob Marley interprète pour le producteur Leslie Kong cette composition, une de ses premières, ainsi que deux chansons religieuses. Sa seule expérience de la scène se résume alors à une participation à un concours de chant en compagnie de Peter Tosh et Bunny Wailer, sous le nom de Teenagers. Et il s’est déjà fait rabrouer par Kong quelques mois auparavant, quand il a tenté de lui quémander une audition dans sa boutique de disques. Mais cette fois, l’aura de Bob lui permet de convaincre Leslie « King » Kong de lui donner sa chance. Le single sort peu de temps après sur le label Beverley’s. Même s’il n’est diffusé nulle part, Bob a réussi son premier pari : sortir un disque. Il est alors âgé de 16 ans. « J’ai commencé en pleurant », dira plus tard Bob lors d’une interview. Des larmes teintées de colère, de conviction et d’inspiration mystique.

Bob Marley lorsqu'il joignit les mains de Michael Manley et de Edward Seaga
Le One Love Peace Concert est un évènement qui a marqué les mémoires, notamment car Bob Marley a su réunir les mains de Michael Manley et de Edward Seaga, deux opposants politiques.

Tous les gros classiques de Bob sont au rendez-vous sur cette B.O. irréprochable : « I Shot The Sherif » qui sera repris par Eric Clapton, « Jammin’ », « No Woman No Cry » dans sa version live enregistrée à Londres au Lyceum, « War », live londonien également, capté au Rainbow, « Could You Be Loved » et bien d’autres. Comme on l’apprend dans le documentaire de 2h25 réalisé par Kevin Macdonald qui retrace la carrière météoritique de Bob, l’artiste quittera la scène après un dernier show au Stanley Theater de Pittsburgh le 23 septembre 1980. 

Marcia Griffiths, fidèle choriste de I-Threes, raconta que lors du sound check, Bob a joué pendant deux heures la chanson « I’m Hurting Inside ». Tous les musiciens du groupe étaient en pleurs. Le concert, depuis sorti en CD, démarra avec la traditionnelle dédicace, « Bénédiction au nom de son impériale majesté, l’empereur Haïlé Sélassié, Jah Rastafari, qui vit et règne sans discontinuer, avec la foi et la certitude éternelle. On dit que l’expérience amène la sagesse, mais… Une mystique naturelle flotte dans les airs ».

Bob Marley en concert

« Natural Mystic » ouvre le bal tragique, 90 minutes hors du temps. Les Wailers jouent plus vite qu’à l’accoutumée afin que Bob se fatigue moins. La version acoustique de « Redemption Song » tire des larmes sur scène et dans la salle. Les Wailers craignent de voir Bob s’écrouler pendant le premier rappel de quatre chansons, mais il tient bon et un second rappel aura lieu. « Merci Pittsburgh, vous êtes chauds ! On va devoir revenir tous les ans ! Toutes les semaines ! Tous les mois ! » annonce-t-il avant de chanter pour la dernière fois « Get Up, Stand Up ». 

Après huit mois dans la clinique bavaroise du docteur Issel qui soumet le chanteur à des traitements alternatifs pour son cancer, Bob annonce qu’il souhaite retourner en Jamaïque pour y mourir. Ses fonctions vitales se dégradent durant le vol qui est détourné vers Miami, en Floride, où Bob décèdera le 11 mai 1981, le lendemain de la victoire du socialiste François Mitterrand à l’élection présidentielle. Il avait 36 ans. Bob Marley n’est plus, mais si l’homme est mort, sa légende et sa musique sont toujours présentes, plus fort encore 41 ans après sa mort. 

Retrouvez toutes les émissions Le Rewind sur YouTube et sur le Blog de Son-Vidéo.com !

Suivez toute l’actualité de Son-Vidéo.com sur Google Actualités.

Donnez votre avis !

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.