L’actualité des Beatles, c’est bien sûr ce single « inédit », Now And Then, miraculeusement finalisé grâce à un logiciel développé par Peter Jackson lors de la fabrication du documentaire Get Back, qui a permis d’isoler la voix de John Lennon sur la K7 démo qu’il avait enregistré au piano. L’ultime témoignage des quatre musiciens travaillant ensemble une dernière fois. Séparés avant le début des seventies, les Beatles ont pourtant continué, chacun de leur côté, à sortir des disques et à produire des albums. Ce Rewind à base de Fab Four solos vous en propose quatre exemples, plus un cinquième avec un musicien important dans leur carrière.
George Harrison All Things Must Pass (1970)
Et ça démarre avec George Harrison, le plus discret de la bande des quatre, qui fait très fort avec All Things Must Pass, troisième solo sorti sous forme de triple album vinyle en 1970. On est à une période charnière pour Paul, John, George et Ringo : ils viennent de mettre un terme à leur aventure collective qui a changé à jamais le monde de la pop music. À l’instar de Ringo, George est vu comme le Beatle le moins productif (en termes de morceaux écrits par lui) et va se venger en sortant un triple album. Après Wonderwall Music en 1968 et le très avant-gardiste Electronic Sound en 1969, le guitariste va enfin obtenir un hit single en solo, « My Sweet Lord », le plus puissant des 24 morceaux inclus dans ce coffret surprenant.

En vérité, le triple album est un double, avec un LP bonus titré Apple Jam et regroupant des bœufs en studio. S’il n’y avait pas eu le disque concert de Woodstock six mois avant All Things Must Pass, ce dernier aurait été le premier triple album de l’histoire du rock. Il est en tous cas le premier triple album d’un artiste solo, qui à l’époque expliqua dans ses interviews le besoin qu’il avait de s’exprimer sur la (longue) durée :
Je n’ai jamais eu beaucoup de chansons sur les albums des Beatles et du coup, faire un disque comme All Things Must Pass, c’était comme aller aux toilettes et tout sortir d’un coup.
Les invités sont nombreux et prestigieux, de Bob Dylan (qui écrit « If Not For You » et coécrit « I’d Have You Anytime », le premier morceau) au groupe Badfinger en passant par le saxophoniste Bobby Keys (entendu chez les Rolling Stones), le clavier Billy Preston et les guitaristes Eric Clapton et Dave Mason de Traffic. L’album est coproduit par Phil Spector et sera un succès commercial aussi bien aux USA (sextuple platine) qu’en Angleterre, où il passera un bon moment en tête des charts.
Beaucoup de rock critics de l’époque considérèrent que ce disque au visuel étrange (George en tenue de paysan avec quatre nains de jardin autour de lui, comme une allégorie des Fab Four) était le meilleur album solo d’un membre des Beatles. Si Paul a eu une belle carrière, cette affirmation reste pourtant réelle, et on attend toujours que sortent les titres inédits enregistrés durant les sessions de All Things Must Pass. On estime que les titres restés dans les archives d’Apple Music équivalent à un autre double album.
Billy Preston Encouraging Words (1970)
Rewind 2, et on s’éloigne des Beatles puisqu’il s’agit ici du cinquième album de Billy Preston, Encouraging Words. Mais la connexion avec les Quatre de Liverpool est pourtant intense : Non seulement l’album est coproduit par George Harrison, mais il contient les premières versions des chansons de George « All Things Must Pass » et « My Sweet Lord ». Sorti quelques mois avant le triple LP d’Harrison, ce disque hybride n’a pas connu le succès commercial, et la version Preston de « My Sweet Lord » n’a pas dépassé la 90e place des charts américains.

Si That’s The Way God Planned It, le précédent album solo de Billy paru en 1969, s’offrait le luxe d’un featuring de Keith Richards à la basse, Encouraging Words retrouve les usual suspects qui gravitaient autour de George sur son triple LP : Eric Clapton et George Harrison aux six-cordes, Ringo à la batterie, Klaus Voorman à la basse. « Use What You Got », qui avait été enregistré par Billy en 1968 pour Capitol Records, a été refait par George Harrison, tout comme « Let The Music Play », réenregistré en janvier 1970. La touche soul est augmentée par la présence de musiciens des Temptations et de Sam & Dave, en tournée anglaise au moment des enregistrements d’Encouraging Words.
Le gospel est également présent sur « Sing One For The Lord » et « My Sweet Lord », deux chansons sur lesquelles on entend les harmonies vocales des Edwin Hawkins Singers, une chorale américaine de passage à Londres. On notera la reprise d’une composition mineure de Lennon/McCartney, « I’ve Got A Feeling ». Car si Billy n’est pas vraiment « le cinquième Beatle », il est le seul avec le guitariste Tony Sheridan à avoir obtenu un crédit sur un disque des Beatles. Quand il a joué l’orgue Hammond sur « Get Back » en 1969, le single le créditait sur la pochette : « The Beatles With Billy Preston ».
Mort en 2006 à l’âge de 60 ans, Billy a eu une carrière particulièrement riche, jouant avec toutes les pointures du rock et de la soul parmi lesquelles les Rolling Stones, The Band, Nat King Cole, Aretha Franklin, les Jackson 5, Mick Jagger en solo, Johnny Cash et les Red Hot Chili Peppers. Il fut intronisé à titre posthume au Rock & Roll Hall Of Fame en 2021, obtenant le « Musical Excellence Award ».
Paul McCartney And Wings Band On The Run (1973)
Rewind 3, retour aux Fab Four avec un des albums les plus emblématiques des Wings, Band On The Run. Paul McCartney reste le Beatle avec le plus de hits solo à son actif, dont le générique du James Bond « Live And Let Die », populaire en France pour avoir été utilisé comme générique de l’émission politique L’Heure de Vérité, et la scie insupportable « Mull Of Kintyre », sortie en 1977 durant l’hiver du punk et agrémenté des cornemuses écossaises du Campbelltown Pipe Band.

Aucun dégât collatéral cornemusien sur les dix chansons de cet album orchestré par Tony Visconti dont la pochette propose une mise en scène shootée par le photographe Clive Arrrowsmith dans un parc londonien en octobre 1973. La photo présente les trois Wings (Paul, sa femme Linda et Denny Laine) accompagnés de nombreuses guest stars parmi lesquelles Christopher « Dracula » Lee, l’acteur James Coburn, le présentateur britannique anobli Sir Michael Parkinson et le boxeur anglais John Conteh. Si la photo est 100% British, l’enregistrement l’est moins. En effet, l’album a en majorité été conçu à Lagos, au Nigéria, d’où la photo de l’inner sleeve montrant le groupe avec des enfants nigérians.
Troisième album des Wings, Band On The Run arrive trois ans après le split des Beatles et fut un gros succès aussi bien critique que commercial pour Paul, restant 124 semaines dans le Top 100 des charts anglaises, atteignant la première place en juillet 1974, 33 semaines après sa sortie.
L’enregistrement fut moins idyllique et ensoleillé que Paul l’aurait voulu. Parmi les multiples incidents qui eurent lieu durant le séjour du groupe à Lagos, citons le braquage de Paul et Linda lors d’une sortie nocturne par des agresseurs munis de couteaux qui leur volèrent notamment un carnet manuscrit avec des paroles pour de futures chansons et des cassettes de démos (on imagine la valeur potentielle de ces reliques), mais aussi une embrouille avec Fela Kuti. En effet, le king de l’afrobeat était persuadé que les Anglais, qui étaient passés le voir à son club le Shrine, allaient piller l’héritage musical nigérian. Débarquant en furie pendant l’enregistrement de l’album pour confronter Paul, Fela écouta les morceaux qui de fait ne contenaient pas d’influence afrobeat.
Gag final : À leur retour à Londres après six semaines passés au Nigéria, Paul et ses Wings eurent la surprise de recevoir une lettre du label EMI, envoyée avant leur départ pour le continent africain, leur enjoignant de ne pas aller au Nigéria où une épidémie de choléra faisait rage.
Ringo Starr Goodnight Vienna (1974)
Rewind 4, au son du tambour puisqu’on va ici évoquer le batteur Ringo Starr et son Goodnight Vienna, quatrième album solo d’une longue carrière qui en compte une vingtaine. D’abord le visuel : Un clin d’œil appuyé à un film de science-fiction réalisé par Robert Wise en 1951 devenu culte depuis, Le Jour Où La Terre S’Arrêta (qui bénéficia d’un remake en 2008 avec Keanu Reeves). Là, Ringo remplace Michael Rennie, l’acteur qui jouait l’extra-terrestre Klaatu, à côté du robot géant Gort. L’ouverture rappelle celle du précédent album, Ringo. En effet, comme Ringo, Goodnight Vienna s’ouvre sur une composition de John Lennon : « I’m The Greatest » en 1973, « Goodnight Vienna » en 1974.

Mais contrairement à son prédécesseur où on retrouvait les Beatles en kit (Paul aux arrangements de cordes sur « Six O’Clock », George Harrison à la guitare et aux backing vocals sur « Sunshine Life For Me (Sail Away Raymond) », John Lennon au piano sur « I’m The Greatest »), la composition de Lennon est ici la seule trace beatlesienne de l’album. Par contre, les fidèles lieutenants sont au rendez-vous, à commencer par Billy Preston aux claviers sur la chanson-titre et sur « Only You (And You Alone) », une reprise des Platters qui fut suggérée à Ringo par John Lennon en personne. Bobby Keys, lui, est un résident permanent avec pas moins de six titres sur lesquels il joue le sax maniac, amenant une teinte cuivrée à ce disque pop d’excellente facture.
« Snookeroo », morceau prolétaire et fier ouvert par la superbe ligne « I was born in the North of England / I was raised in a working town », est l’œuvre de Bernie Taupin et Elton John.
Mais le morceau le plus amusant de ce disque est certainement « No No Song », écrit par le countryman Hoyt Axton. En trois couplets, Ringo affirme qu’il ne fume plus de marijuana, qu’il ne sniffe plus de cocaïne et qu’il ne boit plus de whisky, malgré les tentations que représentent un pochon d’herbe, dix livres de coke et du moonshine whiskey. Ça sent le bayou sur « Occapella », chanson écrite par Allen Toussaint et teintée du piano électrique de Dr. John, l’autre invité prestigieux de cette œuvre détendue et plaisante qui a plutôt bien vieilli.
La pub télé pour Goodnight Vienna montrant la soucoupe de la couverture atterrir sur le toit de l’immeuble de Capitol Records bénéficiait d’une voix-off de John Lennon. Ringo lui rendit la pareille en faisant la voix-off de la pub pour Walls And Bridges, le cinquième album solo de Lennon. Le clip de « Only You (And You Alone) » est un petit bijou, avec une soucoupe volante à l’ancienne et Harry Nilsson, ami de Ringo et auteur du morceau « Easy For Me » qui conclut l’album, lisant sur le toit du Capitol building le Los Angeles Times en couverture duquel Ringo a sa tenue de cosmonaute. On savait rire, durant les seventies.
John Lennon Gimme Some Truth (2010)
Rewind 5, last but not least comme on dit aux États-Unis, John Lennon avec une compilation à peu près définitive sur laquelle on retrouve l’essentiel de son œuvre solo, divisée en quatre CDs thématiques. D’abord Working Class Hero, 18 chansons parmi les plus engagées de John, dont celle qui donne son titre au volume et fut reprise par Marianne Faithfull dans une version crépusculaire et sublime, mais aussi « Instant Karma ! (We All Shine On) » de 1970, premier single solo d’un Beatle à atteindre le million de ventes aux États-Unis.

On n’échappe pas, et c’est bien normal, aux scies pacifistes que sont « Imagine » et « Give Peace A Chance », avec en contrepoint le plus revendicatif « Sunday Bloody Sunday » sur le massacre irlandais de 1972. Également présent le morceau coécrit avec Yoko Ono et dont le titre ne serait plus possible aujourd’hui venant d’un artiste blanc, « Woman Is The Nigger Of The World ».
La femme est au cœur du second CD, 18 titres pour autant de chansons d’amour, mais pas toujours apaisées. Ainsi « Mother », qui se conclut par John en mode « cri primal » après avoir débuté au son d’une cloche funéraire. « My Mummy’s Dead » est plus apaisé, orchestré par une simple guitare acoustique pour une durée de 49 secondes, mieux que les Ramones et bien moins électrique.
Sur le troisième CD, Borrowed Time, on retrouve « Old Dirt Road », coécrit par Harry Nilsson, qui a offert à John cette métaphore sur la vie, qui équivaut à « tenter de ramasser de la fumée avec une fourche tandis que le vent souffle ». Comme disait le groupe des eighties It’s Immaterial, « Life is hard and then you die ». « Crippled Inside » invite George Harrison (au dobro) et « Cold Turkey » fut la première chanson de Lennon qu’il signa de son nom, après que Paul McCartney eut refusé de l’inclure sur l’album des Beatles Abbey Road. Le titre de la chanson évoque le sevrage brutal de l’héroïne, vécu par John et Yoko Ono après leur brève addiction.
Enfin, Roots, le quatrième volet de cette riche compilation, est le disque le plus détendu, 18 chansons de pur rock & roll, principalement de reprises avec quelques gros classiques parmi lesquels « Sweet Little Sixteen » de Chuck Berry, « Ain’t That A Shame » de Fats Domino, « Ya Ya » de Lee Dorsey et « Hound Dog » d’Elvis Presley. Les tubes fifties d’une jeunesse insouciante jouées par un grand lyriciste et mélodiste assassiné le 8 décembre 1980 par un lâche dont le nom n’est pas digne de figurer ici.